Page:Le Tour du monde - 11.djvu/339

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quoiqu’elles marchent pieds nus, et qu’elles ne prennent aucun soin de leur personne. J’ai retrouvé cette conformation délicate, cette distinction si enviée des Européennes, dans les nations du Chaco, qui sont, avec les Payaguàs, les plus belles de l’Amérique.

Elles laissent flotter leurs cheveux sur les épaules, et ne les attachent jamais.

Lorsqu’une jeune fille sort de l’enfance, elle subit un tatouage. À l’aide d’une épine et du fruit de genipayer[1], on lui trace une raie bleuâtre large d’un centimètre, laquelle commence à la racine des cheveux, traverse le front, et descend perpendiculairement sur le nez, jusqu’à la lèvre supérieure exclusivement. Au moment de son mariage, on prolonge cette bande sur la lèvre inférieure jusque sous le menton. Sa nuance varie du violet au bleu-ardoise, et ses traces sont indélébiles. Quelques femmes ajoutent à celle-ci d’autres lignes et des dessins tracés avec la teinte enflammée de l’urucu[2] ; mais cette mode, générale il y a un demi-siècle, et qu’Azara décrit en détail, devient de plus en plus rare.

Les Payaguàs vont nus dans leurs tentes (toldos) ; mais, lorsqu’ils se rendent en ville, hommes et femmes portent une petite couverture ou mante de coton, qui les entoure à partir du creux de l’estomac jusqu’au-dessous du genou. Cette pièce d’étoffe, qu’ils croisent sur leur corps à la manière du chiripa des créoles, est un des rares produits de leur industrie. Les femmes sont chargées du soin de sa fabrication, pour laquelle elles emploient le seul secours des doigts, sans se servir de navette et de métier. D’autres se contentent d’endosser une chemisette sans col ni manche, assez semblable au tipoy des Guaranis. Toutefois, l’usage des vêtements semble leur devenir à tous de jour en jour plus familier, et, parmi ceux que j’ai vus vaguer dans les rues de l’Assomption, aucun ne s’était contenté, comme autrefois, de se couvrir de peinture figurant des vestes et des culottes.

Le paye ou médecin payaguas (voy. p. 342). — Dessin de H. Rousseau.

Quelques anciennes coutumes ont encore disparu ; telle est celle qu’avaient les hommes de porter soit le barbote[3], soit une petite baguette d’argent analogue au tembeta des Guaranis sauvages ou Cayaguàs. D’autres ne sont reprises qu’à de rares intervalles, ou à certaines époques ; alors on voit reparaître, en ces jours solennels, les longues aigrettes de plumes fixées sur le sommet de la tête ; les tatouages variés et de couleurs tranchantes ; les dessins bizarres dont ils se couvraient le visage, les bras et la poitrine ; les colliers de verroterie ou de coquillage ; enfin, les bracelets d’ongles de capivaras, enroulés autour des poignets et des malléoles. Mais la tradition de cette ornementation compliquée a été religieusement conservée parle paye (Pa-ye) ou médecin de la tribu, représenté ci-contre fidèlement.

Les Payaguàs vivent sur la rive gauche du Rio-Paraguay, qu’ils ne quittent jamais pour aller s’établir du côté opposé, où les Indiens du Chaco, avec lesquels ils sont toujours en guerre, ne manqueraient pas de les attaquer. Leur hutte principale (tolderia), élevée sur le bord du fleuve[4], consiste en une grande case allongée, haute de trois à quatre mètres, faite de bambous placés sur des fourches et que l’on a recouverts de nattes de jonc non tressées. Des dépouilles de jaguars, de capi-

  1. Nandipa (genipa americana).
  2. L'urucu ou rocou est une couleur rouge, que l’on obtient des téguments de la graine de l’arbuste connu en botanique sous le nom de bixa orellana. Cette matière, précieuse par ces applications à l’industrie, figure dans les exportations de la Guyane française.
  3. Morceau de bois léger, arrondi, de dimensions variables, qui se place dans une ouverture pratiquée à la lèvre inférieure. Les Botocoudos, les Lenguas, etc., semblent renoncer aussi à cet affreux ornement autrefois très-usité.
  4. Cette partie du rivage est appelée el Banco. Elle sert de lieu de promenade le dimanche (voy. page 337).