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discuterons pas ici la valeur, cette nation indomptable et rusée fut pendant deux siècles le plus redoutable adversaire des Espagnols. Les écrivains de la conquête, les ouvrages d’Azara, l’Essai historique du doyen Funes, et de nombreuses pièces conservées dans les archives de l’Assomption, contiennent le récit de leurs entreprises audacieuses. On les voit attaquer successivement les hordes du Chaco, les établissements des Espagnols situés dans le voisinage de l’Assomption qu’il fallut protéger par les forts d’Arecutacùa et de la Angostura, les Portugais qui revenaient chargés d’or de Cuyabà à Saint-Paul, et les Réductions guaranies : mais ils devaient succomber dans ces luttes inégales. La mort de Juan de Ayolas, massacré par eux (1542), allait être vengée. Vaincus à leur tour, une dernière défaite que leur fit essuyer le gouverneur don Rafael de Moneda, vers 1741, les détermina à conclure avec lui une paix qu’ils ont toujours fidèlement gardée ; moins, comme on serait tenté de le croire, par suite d’un commencement de civilisation ou de l’adoucissement de leur caractère, que par le sentiment de leur impuissance. Dès cette époque, la tribu des Tacoumbous s’est fixée aux portes de l’Assomption, où elle a reçu dans son sein, en 1790, celle des Sarigués, sans renoncer tout à fait, malgré cette élection de domicile, à sa vie nomade. Les Payaguàs se dispersent souvent sur les bords du fleuve, par familles ou par groupes. Il n’est pas rare d’en rencontrer près de Villa-Real, de Neembucu, ou de San-Pedro, sur le Xejuy.

Quel était leur nombre dans la première moitié du seizième siècle ? Il est impossible de le dire avec certitude ; mais les anciennes relations, qui paraissent ne pas mériter sur ce point le reproche d’exagération qu’on leur a plus d’une fois et à juste titre adressé, ne l’estiment pas au delà de plusieurs milliers de combattants. Du temps d’Azara, la peuplade tout entière comptait à peine mille âmes : de nos jours, elle n’en a pas deux cents[1].

Leur taille est remarquable. Elle surpasse incontestablement celle de la plupart des nations du globe. Les mesures prises au hasard sur huit individus justifieraient l’application de cette épithète aux Payaguàs, car elles m’ont donné pour moyenne un mètre soixante-dix-huit centimètres un millimètre.

Chez les femmes, les proportions ne sont pas moins avantageuses. Ainsi, quatre femmes de plus de vingt ans m’ont offert : la première, un mètre cinquante-cinq ; la seconde, un mètre cinquante-cinq ; la troisième, un mètre soixante, et la quatrième, un mètre soixante deux. Moyenne, un mètre cinquante-huit.

On peut tirer plusieurs conséquences de cette double série de mesures. En comparant la taille moyenne des Payaguàs à celle de l’homme en général, que les physiologistes s’accordent à fixer vers un mètre soixante-six, on voit que la différence, tout à l’avantage des premiers, n’est pas inférieure à douze centimètres un millimètre.

Si l’on prend ensuite pour points de comparaison les mesures observées par des voyageurs exacts sur les peuples qui passent pour les plus grands de l’univers, sur les Patagons, par exemple, on trouve comme moyenne donnée par M. d’Orbigny, un mètre soixante treize : ainsi les Payaguàs surpassent encore de cinq centimètres un millimètre cette nation à laquelle on a, de tout temps, attribué une stature fabuleuse.

Le corps des Payaguàs, toujours élancé, ne présente jamais d’obésité, excepté chez les femmes. Les épaules sont larges ; et les muscles de la poitrine, des bras et de la partie postérieure du tronc, offrent un développement dû à l’exercice fréquent de la rame ; car ils vivent dans leurs pirogues. En revanche, cette prédominance de l’appareil musculaire dans les membres supérieurs fait paraître grêles et effilées les extrémités inférieures.

La peau, lisse et douce au toucher, comme celle des indigènes du Nouveau-Continent, est d’une couleur brun olivâtre, et il serait assez difficile d’en définir la nuance plus rigoureusement. Elle paraît un peu plus claire que celle des Guaranis dont elle n’offre pas les reflets jaunâtres ou mongoliques.

Les Payaguàs portent haute leur tête volumineuse, couverte de cheveux abondants, longs, plats ou légèrement bouclés. Ils les coupent sur le devant du front, ne les peignent jamais, et les laissent croître et retomber en désordre. Les jeunes guerriers seuls les rassemblent en partie sur l’occiput, où ils les retiennent attachés à l’aide d’une petite corde rouge, ou d’une lanière découpée dans la peau d’un singe. Ainsi font les Guatos de Cuyabà, qui, pour le dire en passant, se rapprochent plus de cette peuplade que des Guaranis, à côté desquels ils ont été placés dans une savante classification[2].

Les yeux petits et vifs, légèrement bridés mais non relevés à l’angle externe, expriment la finesse et l’astuce. Le nez long, un peu arrondi, rappelle par ses lignes la conformation caucasique.

Les pommettes sont à peine saillantes : la lèvre inférieure dépasse la supérieure, ce qui donne à leur physionomie sérieuse et froide, une expression de fierté dédaigneuse en rapport avec le caractère de ce peuple indompté.

Les Payaguàs s’épilent. À l’exemple des autres Indiens, ils s’arrachent les sourcils et les cils afin de mieux voir.

Dans la jeunesse, les femmes, sans être sveltes, sont bien proportionnées. Mais elles engraissent de bonne heure ; leurs traits se déforment, et bientôt leur corps devient trapu et ramassé. En revanche, les pieds et les mains conservent toujours une petitesse remarquable,

  1. A. d’Orbigny, sur la foi des renseignements recueillis à Corrientes, aux frontières même du Paraguay, raconte (Voyage, t. I, p. 314) que Francia les fit mettre tous à mort. Nous verrons, au contraire, le dictateur attacher les Payaguàs au service de sa politique. Cette erreur d’un voyageur toujours exact, prouve une fois de plus avec quelle réserve on doit accueillir, en Amérique, les informations que l’on ne peut contrôler soi-même.
  2. D’Orbigny, l’Homme américain, t. II, p. 350.