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irlandaises, des haillons suspendus au-dessus des rues comme pour intercepter la lumière ainsi que la chaleur, çà et là des tas de briques et d’immondices dans les espaces libres, partout des mares fétides qui attestent l’absence de toute règle pour l’écoulement des eaux. Voilà le spectacle que présente White Chapel vu à vol d’oiseau. Que serait-ce si l’on pouvait, par une fantaisie qui n’aurait cette fois rien de diabolique, enlever les toits des maisons et compter les gémissements ou les imprécations qui s’exhalent de là vers le ciel ! »

Et ailleurs, parlant de ces immondes quartiers de Spitalfield et de Bethnal Green, où grouillent plus de 150 000 tisserands, la plupart Irlandais, les maisons de ce district, nous dit le célèbre économiste, sont dans un état de délabrement dont rien ne saurait donner une idée. On les construit souvent en planches mal jointes, ce qui leur donne bientôt l’aspect des plus dégoûtantes étables. Lorsque ces masures ont été condamnées à cause du danger qu’il y aurait à les habiter, et que les locataires les ont désertées, il se trouve toujours, avant qu’on les abatte, quelque famille irlandaise qui, ne pouvant payer le prix d’un loyer, vient, comme autant d’animaux immondes, y chercher un abri. Dans un quartier où les rues en temps de pluie forment un marais la fièvre ne tarde pas à s’exhaler de ces ruines empestées.

Quatre policemen en fonction. — Dessin de Durand-Brager.

« Transportez dans ces quartiers, dit plus loin M. Léon Faucher, une colonie de Hollandais lavant et nettoyant du matin au soir, aussi amoureux de l’ordre et de la propreté que ses étranges habitants le sont du désordre ignoble qui semble être leur élément, et vous n’aurez encore rien fait… On dirait une de ces villes du moyen âge que les magistrats entouraient de murailles pour les protéger contre l’ennemi extérieur, mais qu’ils livraient faute d’entretien, dans leur naïve ignorance, à l’action meurtrière des épidémies. Les dernières maisons de la cité dérobent, en manière de remparts, les rues de White Chapel ; on n’y pénètre qu’à travers des passages tortueux pratiqués sous des voûtes ou entre les murs humides des cours ; c’est une ville entière exclusivement réservée aux piétons. Depuis que la fièvre a décimé la population on s’est décidé à construire des égouts dans les rues principales, et quelles rues ! mais l’enlèvement des immondices ne s’opère encore qu’une fois par semaine ; on les entasse pendant sept jours sur la voie publique, qui se couvre ainsi d’un lit permanent de fumier. »

On voit par ces lignes, choisies au hasard dans les Études sur l’Angleterre, que le tableau que nous avons fait de l’aspect des quartiers pauvres n’est aucunement chargé. Léon Faucher est certes un témoin digne de foi, économiste avant d’être littérateur, et n’écrivant pas