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la cage de l’escalier. Je fermais la marche, je n’y voyais goutte, et il me semblait toujours entendre un des deux dormeurs du palier sur lequel j’étais demeuré venir derrière moi, prêt à me secouer d’importance pour avoir troublé si mal à propos le sommeil des honnêtes gens. À la fin, la porte du second s’ouvre. Devant le siége en règle de la police, les personnes qui habitent cette chambre consentent à nous donner accès. Les constables sortent tous à la fois leurs lanternes et les tournent vers le lit pour mieux l’éclairer. Nous, excités par je ne sais quelle curiosité inquiète, nous faisions en même temps irruption dans cette pauvre mansarde. Quelle misère, bon Dieu ! et se peut-il qu’il y ait des créatures à ce point abandonnées ! Pas de carreaux aux fenêtres, où pend, en guise de rideau, un sale tartan qui a dû couvrir déjà bien des épaules et des fenêtres, châle le jour et rideau la nuit. Dans le lit, une mauvaise couverture, une pauvre paillasse, et là trois jeunes filles qui tantôt dormaient serrées l’une contre l’autre ; trois filles de seize ans, pâles, déjà usées par la misère et par la faim ! Que l’hiver doit être affreux pour ces malheureuses, et comment, quand vient la saison des frimas, peuvent-elles résister au froid de la nuit et à toutes les intempéries ? Pauvres filles, qui ont peut-être toujours eu faim depuis le moment où elles sont nées ! J’examinai leurs jeunes têtes blondes qui avaient encore conservé un air d’innocence, et je me rappelai involontairement, devant tant de misère, ces beaux vers du poëte :

Oh ! n’insultez jamais une femme qui tombe !
Qui sait sous quel fardeau la pauvre âme succombe ?
Qui sait combien de jours sa faim a combattu ?

La femme ivre en prison. — Dessin de Durand-Brager.

M. Price voulut bien interroger devant nous ces petites mendiantes. Elles montrèrent leurs têtes qu’elles