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où l’on va, et c’est avec un ravissement joyeux que l’on regarde, du sommet des hauteurs, le paysage inconnu jusque-là. Collines, vallées et rivières n’ont pas encore de nom ; on les baptise suivant l’humeur et la fantaisie du moment, d’après les souvenirs de la patrie ou des amis absents, et l’on se transporte par la pensée aux temps à venir où toutes ces plaines et ces vallées seront habitées jusqu’aux montagnes neigeuses les plus éloignées dont les sommets se dressent à l’horizon, et où des routes et des chemins commodes permettront d’atteindre en un jour le but auquel on a peine à arriver aujourd’hui après un voyage fatigant d’une semaine entière.

Tawai-Pounamou est traversée du sud au nord par une chaîne de montagnes qui forme comme la colonne vertébrale de l’île. Les neiges perpétuelles qui couvrent les crêtes de cette chaîne, l’élévation de ses sommets dont plusieurs dépassent 4 000 mètres, l’étendue de ses glaciers et la grandeur des lacs que renferment ses hautes vallées, lui ont valu le nom d’Alpes méridionales.

La province de Nelson, surtout dans les parties méridionales qui ont été peu explorées, est encore riche en vastes domaines propres à l’agriculture et aux pâturages, mais le sein de la terre y abonde aussi en richesses minérales, dont aujourd’hui de nombreuses et importantes exploitations sont en activité.

C’est en effet à ses trésors minéralogiques que Tawai-Pounamou doit les développements rapides de sa prospérité et de sa population. La découverte des richesses aurifères de l’Australie ne pouvait manquer de produire une grande sensation dans une colonie aussi jeune et aussi voisine que la Nouvelle-Zélande ; aussi un grand nombre de bras s’en retirèrent pour se porter vers le nouveau pays de l’or ; mais bientôt on commença à chercher le précieux métal dans la Nouvelle-Zélande elle-même, et dès le mois d’octobre 1852, il se forma à Auckland un comité qui promit une récompense de cinq cents livres sterling à quiconque découvrirait sur l’île du Nord un gisement aurifère considérable. Les espérances ne furent pas trompées. Plusieurs tentatives, faites pour la plupart dans la province d’Auckland, ne couvrirent cependant pas les frais. Les recherches se dirigèrent alors vers l’île du Sud, dans la province de Nelson d’abord, puis dans celle d’Otago où elles eurent un succès éclatant.

C’est seulement en 1861 que la fièvre de l’or éclata. Des milliers d’hommes affluèrent, au milieu de la mauvaise saison, par des chemins affreux, à l’eldorado de la rivière Tuapeka, à quatre-vingts milles à l’ouest de Dunedin, et, dans l’intervalle de quelques mois, ils prouvèrent, par les produits de leur travail, que la Nouvelle-Zélande fait partie des contrées aurifères les plus favorisées

Les premières nouvelles de cette exploration portent la date du mois de juin. Celui qui pouvait résister au mauvais temps gagnait, disait-on, par jour, de une à deux onces d’or (trois à six livres sterling). Un tel gain fut un puissant attrait, et, dès la fin de juillet, deux mille mineurs environ étaient déjà réunis à Gabriels Gully, sur le haut Tuapeka, fouillant le sol dans tous les sens. Une ville improvisée, qui ne comptait pas moins de six cents tentes, se déroulait comme un serpent dans une contrée tout à l’heure déserte ; la secousse électrique de la province d’Otago s’étendit bientôt aux autres districts, et de Canterbury et de Nelson, de Wellington, d’Hawkes et même d’Auckland, des centaines et des milliers d’individus s’élancèrent vers la province qui promettait tant de richesses. Les nouvelles du Waikato et de la guerre maorie qui, jusque-là, avaient fourni un aliment invariable à tous les journaux de la Nouvelle-Zélande, furent dépassées par celles de Dunedin et des champs aurifères d’Otago, et suivant un narrateur humoriste, les nourrices de la colonie endormaient les enfants avec ce refrain :

De l’or, de l’or, de l’or ! du bel or fin !
Wangapeka, Tuapeka. — De l’or, de l’or, de l’or !

Ces susurrations métalliques éveillèrent les échos d’au delà des mers ; les chercheurs d’or de Victoria abandonnèrent les champs de l’Australie où la concurrence était trop vive, et deux mois après les premières nouvelles qui s’étaient répandues avec une rapidité incroyable, les mineurs australiens s’élançaient en foule vers Otago. Ils se pressaient dans les rues et sur les quais de Melbourne, les matelots désertaient leurs bâtiments, et la spéculation s’empara du champ qui lui était ouvert dans la Nouvelle-Zélande. Vers le milieu du mois de septembre 1861, il n’y avait pas moins de vingt-trois navires, tous frétés à la destination d’Otago, et dans ce nombre figuraient les plus beaux clippers de Liverpool et de Londres. Les mineurs ne s’embarquaient pas seuls ; il se joignait aussi à eux des gens entreprenants de toute sorte et de toute industrie. À la fin de septembre, on évaluait à mille le nombre des

    mentment pas non plus d’aussi complétement vierges, grâce d’abord aux forêts absolument impénétrables qui les recouvrent jusqu’au séjour des neiges, et ensuite à leur élévation, qui n’est pas loin de celle du Mont-Blanc, le Mont-Cook ayant quatre mille trois cents mètres. Il n’y a qu’un moyen possible de voyager dans ces montagnes : c’est de rester toujours sur les crêtes où les forêts sont moins épaisses : à peine descendez-vous de quelques pas à droite ou à gauche que vous vous trouvez dans une ombre si épaisse qu’il faut marcher à tâtons, et un peu plus loin vous êtes arrêté par des masses végétales appelées scrub, où un serpent pourrait à peine pénétrer. On conçoit par là combien est pénible la vie des explorateurs dans de tels parages ; pour aller d’une montagne à une autre qui n’en est pas à deux kilomètres, une journée ne suffit pas toujours ; on couche continuellement à des hauteurs de plusieurs milliers de mètres, on est constamment à la nage, ou ne trouve pas de gibier pour se nourrir, enfin très fréquemment on se perd, et si les provisions sont épuisées on ne peut vivre que de fougères. Un hardi voyageur disparut une fois pendant dix-huit mois dans ces montagnes, et reparut un beau matin à Nelson avec la vie et la santé : on conçoit qu’il y fit autant d’effet qu’eût produit l’apparition de Cook lui-même ; mais tous ne sont pas si heureux que lui.

    Le comte Henri Russel-Kullough. Seize mille lieues à travers l’Asie et l’Océanie, t. I, p. 398.