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Dès qu’on a derrière soi la haute pyramide du Mont-Egmont, on entre dans les eaux toujours turbulentes du détroit de Cook, et en inclinant légèrement au midi on ne tarde pas à apercevoir les côtes rocheuses et boisées de l’île d’Urville, sentinelle avancée de Tawai-Pounamou, et qu’il faut laisser à gauche si l’on veut atteindre la ville de Nelson.

Placée à l’extrémité sud-est de la baie de Tasman, au pied d’une chaîne de montagnes, la ville de Nelson jouit d’un air calme et d’un ciel pur : un des climats les plus beaux et les plus agréables du pays, justifiant parfaitement son titre de jardin de la Nouvelle-Zélande.

Les avantages de la situation de la ville sont généralement connus ; mais un regard jeté sur la carte fait voir que la position de Nelson, sous un autre rapport encore, est extrêmement favorable et bien choisie. Par mer, elle a des communications faciles avec les côtes occidentales et orientales de l’île du Nord et de l’île Stewart, et par terre, des routes et des chemins la relient, dans la direction du sud, avec les districts des côtes occidentales qui prennent de jour en jour plus d’importance, en raison de leur richesse charbonnière et métallique, et de leur florissante agriculture.

Nelson a été fondée peu d’années après Wellington, et elle fut le second établissement de la Compagnie de la Nouvelle-Zélande sur le détroit de Cook. C’est en février 1842 qu’arriva le premier navire avec les immigrants, et le 25 mai de la même année est inscrit dans les annales de la ville comme le jour mémorable où, pour la première fois, la charrue fonctionna sur le sol vierge de la colonie. Malgré les dures épreuves que la jeune colonie eut à supporter, elle gagna en importance d’année en année, et quand, à la suite de nouvelles explorations, on découvrit des gisements de charbon de terre, de fer, de minerai de cuivre, de graphite et d’or, Nelson fut reconnue pour la principale contrée minérale de la Nouvelle-Zélande.

Maintenant la province compte environ dix mille habitants, dont cinq mille appartiennent à la ville et aux environs les plus proches. Nelson est située sur une sorte de delta formé par les alluvions de deux petits cours d’eau, le Maitai et le Brookstreet, qui se confondent au centre de la ville. L’impression produite par les jolies maisonnettes des colons, qu’entourent de beaux jardins, est des plus agréables ; les habitations se serrent de plus en plus dans les rues principales, de grands bâtiments s’élèvent, et Nelson prend de plus en plus l’aspect d’une grande ville. Le 26 août 1859 furent solennellement entrepris de nouveaux édifices publics, et, grâce à la bienveillance des habitants, je fus admis à l’honneur de poser la première pierre d’un beau bâtiment destiné à l’art et à la science, le Nelson Institute.

Certainement, c’est un point remarquable dans l’histoire de ce jeune établissement que celui où des hommes entreprenants, après avoir terminé le pénible travail de la première colonisation, bâti des maisons, défriché des champs, tournent leurs pensées vers un plus noble but, la culture de l’art et de la science, ces fleurs et ces fruits de la civilisation. Un pont suspendu et un joli pont de bois traversent le Maitai, et Nelson peut s’enorgueillir du premier chemin de fer qui ait sillonné le sol zélandais.

Une excellente route conduit de Nelson dans la direction du sud, à travers les districts de Waimea et de Waüti, couverts des champs et des prairies les plus fertiles. Sur ce sol d’alluvion, les fermes, et des groupes de fermes, s’élèvent rapidement, et des localités, grandes et petites, se forment de toutes parts. Là se trouve Richmond avec l'hôtel de l’Étoile et de la Jarretière, dont le propriétaire s’efforce de conserver aux antipodes la bonne renommée de ce nom si célèbre ; plus loin, Stoke, Hope, Spring-Grove, Wakefield. Je rencontrai aussi là deux noms allemands, Ranzau, à peu de distance de Richmond, et Sarrau, près des collines Moutere. Une troupe d’enfants éveillés, aux cheveux blonds et aux yeux bleus, me salua dans cette dernière localité ; mais les vieillards, de simples paysans du Mecklembourg et du Hanovre, se plaignirent amèrement de la mauvaise foi des agents qui les avaient amenés ici, des déceptions cruelles et des souffrances qu’ils avaient endurées, jusqu’à ce qu’enfin, par leurs efforts et leur zèle, ils furent arrivés à une existence supportable. Plus à l’ouest encore, au pied des chaînes de montagnes, se trouvent les plaines fertiles de Riovaka et de Motueka, qui, il y a quinze ans, n’étaient qu’un désert ; aujourd’hui, avec leurs prairies, où paissent de magnifiques troupeaux, avec leurs champs, leurs vergers et leurs maisons européennes, avec leurs montagnes de neige à l’arrière-plan, elles présentent le tableau le plus enchanteur et rappellent nos ravissantes vallées des Alpes.

Si l’on veut se faire une idée de la somme de travail qu’il a fallu pour transformer ces vallées en de riantes campagnes, que l’on remonte le cours de la rivière qui les traverse. Une journée de voyage suffit pour pénétrer au delà des contrées cultivées dans les districts méridionaux, où les bûcherons et les bergers forment les premiers avant-postes de l’agriculture, et où bientôt commence le désert d’un sol vierge à peine foulé par un pied humain, forêts, marécages, buissons. Les pauvres huttes de ces pionniers dans lesquelles on peut trouver l’hospitalité et des visages amis, prennent, sur ces limites de la nature sauvage, l’importance d’une oasis dans le désert ou d’une île dans le vaste Océan. On éprouve un sentiment étrange en abandonnant les dernières cabanes habitées par des hommes, pour explorer des régions inconnues où aucun sentier ne conduit plus, et dans lesquelles, aussi loin que l’œil peut s’étendre sur la montagne et dans la vallée, rien ne trahit plus la trace de l’existence humaine. On avance péniblement à travers bois et buissons, on suit les rives des fleuves, au milieu d’un gazon monotone ; on traverse avec effort, et même avec péril, des torrents rapides ; on rampe sur des rochers et sur des montagnes, et l’on a à combattre des difficultés de toute sorte[1]. Personne ne peut dire

  1. Il n’y a pas de montagnes plus fières, mieux boisées et plus déchirées que celles de la Nouvelle-Zélande ; il n’y en a probable-