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Zélandais. Trente ans se sont écoulés depuis qu’on n’a plus vu de semblables rencontres ; aujourd’hui, ils se contentent généralement de se fusiller de loin.

« Une bataille comme celle que nous venons de décrire terminait, d’habitude, une campagne. Ceux des vaincus qui avaient échappé à la mort et à la captivité fuyaient dans les solitudes des forêts ou d’inaccessibles rochers. Les vainqueurs se gorgeaient, comme des boas constricteurs, de la chair de leurs ennemis, puis reprenaient la route de leur patrie, portant en triomphe les têtes sacrées de leurs chefs morts, et balançant, avec des cris insultants, celles de leurs ennemis, plantées au bout de leurs lances. Les femmes, restées à la maison, se précipitaient à la rencontre des triomphateurs, et, si elles avaient à déplorer la perte d’un mari ou d’un parent, elles tuaient, pour se venger, quelques prisonniers… Les têtes des chefs morts étaient soigneusement conservées intactes par d’ingénieux procédés et déposées au milieu des ossements des ancêtres pour en être retirées aux occasions solennelles et servir alors à exciter les guerriers à la vengeance. Les têtes sanglantes des ennemis étaient plantées au pied des palissades faisant le tour du village et on les injuriait en ces termes : « Tu voulais fuir, mais mon mère t’a arrêté du coup ; je t’ai cuit et mangé. — Et où est ton père ? — On l’a cuit ! — Et ton frère ? — On l’a mangé ! — Et ta femme ? — Elle est chez moi, devenue ma femme, a moi ! — Et tes enfants ? — Ah ! vois-les là-bas, chargés de fardeaux, esclaves sans retour !… »

Quand nous descendîmes le Waikato pour revenir à Auckland, le 21 mai, nous débarquâmes à Ngarnawania afin de rendre à Potatau la visite dont nous nous étions abstenus à notre premier passage.

Dans la première hutte ou nous entrâmes, nous vîmes le secrétaire privé du roi, Te Wetini Te Tekrahi, homme grand, robuste, au visage artistement tatoué, dont tout l’aspect annonçait la fierté et la résolution. Il nous reçut cordialement, fit aussitôt servir une collation aux Maoris de notre suite, et sortit pour annoncer au roi notre arrivée. Le palais de ce prince, hutte spacieuse et bien construite, dominée par le pavillon national, se trouve au sommet de la langue de terre comprise entre le Waikato et le Waipa, en sorte que la vue peut s’étendre sur ces deux fleuves. Quelques misérables huttes, éparses au milieu de buissons de fougère sauvage, forment le noyau de ce que devait être un jour, d’après le plan du parti royal, la capitale de la Nouvelle-Zélande.

Potatau nous fit dire qu’il était prêt à nous recevoir. Devant la porte de sa demeure, était une sentinelle avec une capote d’uniforme bleue, aux parements rouges, et aux boutons de laiton. C’était là la garde du palais. Nous entrâmes par une porte basse. Vingt personnes environ se trouvaient réunies dans la hutte ; à droite, dans un coin sombre, était assis sur une natte de paille un vieillard aveugle, à la tête courbée ; nous avions devant nous Potatau te Whero Whero, le roi maori. Sa figure, surchargée de tatouages, était belle et régulière ; sur le front, une cicatrice profonde révélait l’ancien guerrier qui avait pris part à plus d’une bataille sanglante. Enveloppé dans une couverture de laine d’un brun foncé, Potatau nous rendit notre salut par un léger mouvement de tête. Le capitaine Hey parla de notre voyage, mais le vieillard ne répondit pas un mot. Deux jeunes Maoris, très-avides de s’instruire des usages européens, prirent la parole à sa place. Un tout jeune homme, aux yeux noirs et brillants, nous fut présenté comme le fils du roi, et nous apprîmes que les princesses ses filles étaient, comme la Nausicaa d’Homère, occupées à laver. On nous invita à une collation, et, par une attention délicate, on nous offrit du requin séché. J’étais émerveillé de l’appétit des Maoris, cependant je ne pus prendre sur moi de toucher à ce mets, et je fus ravi, en sortant de la hutte royale, de respirer de nouveau l’air pur du dehors.

Maintenant, quelques mots sur l’hôte de ce palais sauvage et sur les causes qui avaient fait de ce vieillard infirme et aveugle le chef suprême d’une race guerrière et indomptée.

Dans le même moment où le principe de nationalité revendiquait ses droits sur la Péninsule italienne, aux antipodes les tribus maories se soulevaient au nom du même principe pour reconquérir leur indépendance. Dans la Nouvelle-Zélande, ce mouvement est déterminé par des causes bien évidentes, et qui proviennent de l’antagonisme des races indigènes et des immigrants européens. Aussi longtemps qu’il y aura parmi les Maoris une étincelle de vie et de sentiment national, le fait seul de leur décroissance et de la multiplication des étrangers, en leur faisant pressentir leur complet asservissement et leur entière absorption par une race plus puissante, doit les pousser à la résistance.

À l’époque de mon séjour dans la Nouvelle-Zélande, les journaux publiaient un grand nombre d’articles sous les titres de The Maori king movement et Land-league, pour attirer l’attention du gouvernement sur les efforts d’un parti national indigène qui cherchait à gagner toutes les tribus et à les soumettre à un même roi. L’élection de ce chef, chargé de rendre la justice aux naturels, avait pour but de supplanter la couronne anglaise dans ses droits de souveraineté, en même temps que, par le refus de vendre des terres au gouvernement, ils espéraient mettre obstacle aux progrès des colonies européennes. L’autorité n’accorda que peu d’importance à cette affaire. On prit tout cela pour des jeux d’enfant de la part d’un peuple qui, sortant de la barbarie la plus grossière, était tenté d’imiter puérilement en tout les Européens. On crut que la politique la meilleure et la plus sage était de fermer les yeux sur la royauté maorie. En agissant ainsi, disait-on, quand l’attrait de la nouveauté aura disparu pour les indigènes, ce roi de carnaval s’évanouira de lui-même. Mais « ce jeu d’enfant » a amené une lutte sanglante.

Bien qu’une guerre ouverte avec les Européens ne fût nullement dans les vues primitives des diplomates inventeurs du royaume maori, néanmoins toute personne douée de quelque pénétration pouvait voir qu’après l’excitation générale des esprits, entretenue par le parti