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arbres, par les branches latérales ou les plantes parasites. L’œil peut suivre sans obstacle les lignes pures du tronc depuis le bas jusqu’en haut, à l’endroit où les branches vigoureuses forment, en s’entrelaçant, une épaisse voûte d’un vert sombre, à travers laquelle la lumière du soleil rayonne comme des étoiles d’or dans le demi-jour de la forêt. Dans les troncs de quatre pieds de diamètre l’écorce a un pouce et demi d’épaisseur, et elle se détache comme celle de nos pins. L’époque de la floraison arrive en décembre ; les cônes sont relativement très-petits ; leurs dimensions n’atteignent même pas celles de nos sapins, et ils se séparent facilement quand ils sont secs. À l’époque de leur maturité, à la fin de février, les forêts de Kauris sont visitées par un grand nombre d’oiseaux qui mangent les graines.

Les arbres les plus âgés et les plus gros atteignent un diamètre de cinq mètres et une circonférence de quinze ; ils ont une hauteur de trente-trois mètres jusqu’aux branches les plus inférieures, et de cinquante à soixante jusqu’à la cime. Ces arbres peuvent vivre sept à huit siècles. J’ai cité leur résine comme un article de commerce déjà fort recherché. Quand elle exsude de l’arbre, elle est d’un blanc laiteux tirant sur l’opale ; avec le temps, elle se solidifie, devient plus ou moins transparente, et prend habituellement une belle teinte jaune d’ambre. Les branches et les rameaux des sapins étincellent des blanches gouttes de résine, mais c’est surtout dans la partie inférieure du tronc, au col de la racine que l’on en recueille les quantités les plus considérables. Aussi est-ce dans les couches supérieures du terrain où s’étendaient autrefois des forêts de Kauri, qu’on trouve la résine en grande abondance. Il n’est pas rare d’en rencontrer des morceaux qui pèsent plus de cent livres.

L’exploitation de ces arbres a changé, sur beaucoup de points, l’aspect du pays. Dans les baies et dans les criques écartées, qui n’étaient jadis visitées que par les canots du sauvage, circulent aujourd’hui des embarcations de toutes sortes. De grandes scieries, construites d’après les meilleurs procédés, s’élèvent sur les bords de ces baies et de ces criques. Dans les sombres forêts, dans les ravins, sur la montagne et dans la vallée où régnait jadis un silence de mort, on entend crier la scie et résonner la hache. Des hommes dont les nerfs et les muscles ont reçu une trempe vigoureuse dans les forêts de la Californie et du Canada, des Écossais et des Irlandais, et çà et là aussi un pauvre Allemand, poursuivi par les rigueurs du sort, tels sont les combattants qui se mesurent avec le géant de la forêt. Le soir, on voit s’élever joyeusement au-dessus de leur foyer des colonnes de fumée, et mainte histoire terrible se raconte, quand, à l’heure du repos, la pipe est allumée et que le verre de gin passe de main en main.


V

Voyage au Waïkato.


Mon voyage dans l’intérieur de l’île du nord n’est, si on le considère par rapport à la longueur du chemin parcouru (environ 700 milles anglais ou 140 milles allemands), qu’une courte excursion ; et cependant, quand je fus heureusement revenu à Auckland, il me semblait que le voyage était incomparablement plus grand, et qu’il l’emportait même en difficultés sur celui que j’avais accompli dans les cinq parties du monde, en traversant 28 000 milles marins : la différence dépend uniquement de la manière et des conditions dans lesquelles le voyage s’exécute.

Dans les pays européens, où des chemins de fer, des bateaux à vapeur et d’excellents hôtels sont à la disposition du voyageur, où des guides l’informent de tout, où détours et sentiers conduisent partout, et où l’on se procure tout avec de l’argent, chacun peut, d’après ses ressources et le but qu’il se propose, voyager comme il lui convient ; mais dans la Nouvelle-Zélande, il n’est question de rien de tout cela : les routes sur lesquelles on peut circuler conduisent, jusqu’à présent, à quelques milles seulement des villes situées près de la côte ; de plus, il ne faut pas songer à se servir du cheval, au moins pour les longs voyages. Dans beaucoup de contrées, non-seulement on manquerait du fourrage nécessaire, mais les difficultés du terrain sont telles, que loin de lui être utile, l’animal serait plutôt un embarras pour le voyageur. Presque tous les jours, il faut traverser de rapides ruisseaux, des montagnes, des rivières aux bords escarpés, des fondrières et des marais. Les petits sentiers des indigènes conduisent rarement dans les vallées, et presque toujours sur les sommets des montagnes. Quand ils traversent les interminables forêts qui couvrent encore l’intérieur du pays, ils sont tellement étroits qu’un homme a de la peine à s’y frayer un passage. Un œil habitué aux chemins des forêts et des montagnes d’Europe peut à peine reconnaître ces sentiers maoris ; cheval et cavalier y courraient le danger continuel de tomber dans les trous profonds que laissent entre elles les racines des arbres, et d’être étouffés dans les anneaux de la liane qui porte le nom de supple-jacks. Il ne reste donc d’autre moyen que de voyager à pied, et il faut une vigueur inépuisable, une santé à toute épreuve, pour résister aux fatigues inséparables de longues excursions à travers des contrées sauvages, par des chemins mal frayés, au milieu de forêts humides, de marécages et des eaux glacées des montagnes. Tout ce dont le voyageur a besoin, il doit le porter avec lui, et, par cela même, se borner au nécessaire. Il se peut bien que, çà. et là, chez un colon isolé ou sous le toit hospitalier du missionnaire, il jouisse en passant du comfort et des superfluités de la vie civilisée, mais, en général, il faut qu’il y renonce et mette son plaisir à vivre à l’air libre, avec le ciel pour tente et la terre pour table, à revenir enfin aux mœurs primitives et aux simples besoins de l’homme de la nature. Mais c’est en cela même que se trouvent l’originalité et le charme indescriptible d’un voyage dans la Nouvelle-Zélande.

Les indigènes, du reste, sont les meilleurs compagnons de voyage que l’on puisse rencontrer. J’avais engagé comme porteurs, pour toute la durée de nos