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l’horizon. C’est alors que je sentis pleinement le changement qui s’était fait dans ma situation. La Novara était une parcelle de la patrie : dans les pays lointains et étrangers, elle remplaçait mon foyer. Jusqu’alors, ma vie de voyage s’était écoulée au milieu d’amis, de visages connus ; rien n’était changé dans nos habitudes, la langue que nous parlions était la langue maternelle ; la scène seule variait sans cesse autour de nous ; parmi des hommes d’une autre couleur, sur les côtes les plus lointaines, je ne me sentais pas éloigné de la patrie, tant que la Novara demeurait dans le port. Maintenant il me sembla que je commençais à voyager en pays étranger, parmi des hommes étrangers dans le véritable sens du mot. J’étais seul, ne pouvant plus compter que sur moi-même.



II


La cité d’Auckland, sa banlieue. — Ce que ses habitants appellent la campagne.

Après le départ de la Novara, j’allai occuper dans ce qu’on appelle l’Hohl de Clermont (Prince’s street) une riante et spacieuse habitation, chez un hôte parfaitement aimable et bon, M. Winchy. J’avais pour cabinet de travail une vaste pièce, et, des fenêtres, je jouissais d’une vue magnifique sur une grande partie de la ville et du port, qui s’étendaient au-dessous de moi, le long de la côte occidentale jusqu’à la chaîne boisée de Titirangi.

Vue de la ville d’Auckland. — D’après M. F. de Hochstetter.

Resté seul, sans mes collègues de la Novara, dont la spécialité avait été la géologie et la botanique, je crus devoir profiter des occasions qui s’offriraient pendant mes voyages pour ajouter à leurs collections commencées les produits de la Nouvelle-Zélande, et je pris aussitôt les dispositions convenables pour arriver à ce résultat. Je fis insérer en même temps dans les feuilles publiques un avis par lequel je sollicitais l’envoi d’objets d’histoire naturelle de toutes sortes. En cela, je me proposais un double but, j’espérais d’abord obtenir par ce moyen des indications sur la nature des contrées que la brièveté de mon séjour ne me permettrait pas de visiter ; puis, j’avais l’intention de poser de cette manière la base d’un muséum pour la ville d’Auckland. Je fus si bien secondé dans mon projet par la complaisance des colons, et mes collections finirent par prendre un tel développement que mon habitation devint insuffisante à les contenir. Avec le plus gracieux empressement, le gouverneur mit à ma disposition un petit bâtiment voisin de ma demeure qui devint dès lors mon muséum, ou, comme je le disais en plaisantant, mon établissement royal zoologique. À l’époque où je partis pour revenir en Europe, il était ouvert en tout temps au public, et j’y recevais presque continuellement un grand nombre d’aimables visiteurs curieux de connaître mes découvertes les plus intéressantes.