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déplaisir que nous nous vîmes réduits à reprendre les charrettes chinoises et l’attelage de la Mongolie, mais il fallait faire contre fortune bon cœur, et se résigner au seul moyen de transport qui fût à notre disposition. Le vice-consul, M. Sehechmarof, nous accompagna cette première journée, ainsi qu’une escorte de cosaques chargée de nous faire honneur à la sortie de la ville. J’ai eu le plaisir cette fois d’apercevoir le Guison-tamba en passant sous les murs de son palais ; il n’avait pu résister à la curiosité de voir les étrangers qui visitaient la ville, et s’était transporté sur une terrasse de son parc, où, entouré de tous les grands prêtres, il daigna jeter un coup d’œil sur nous autres pauvres humains : ce dieu vivant en chair et en os était un enfant de treize à quatorze ans, au corps débile, aux traits amaigris, dont la figure rappelait plutôt le type régulier des Indous que le masque cahoté des Mongols. Son costume ressemblait d’une manière frappante à celui de nos évêques catholiques : il avait sur la tête une mitre jaune, ses épaules étaient recouvertes d’une chape en soie violette chamarrée d’or et retenue sur la poitrine par une agrafe de turquoise ; enfin, il portait dans la main droite un long bâton en forme de crosse ; son entourage était également vêtu d’étoffes de brocart de soie lamées d’or et d’argent, et des serviteurs lamas entouraient ce groupe sacré, tenant d’une main des cravaches en cuir noir pour écarter les profanes, agitant de l’autre des sonnettes pour appeler la foule au recueillement. En effet, les milliers de curieux qui nous avaient suivis se précipitèrent le front dans la poussière, tandis que nos voitures défilaient au grand galop, et que nos cosaques, sans respect pour la majesté divine et royale, ne daignaient même pas faire le salut militaire. Une violente altercation, qui eut lieu quelques heures plus tard, me donna une idée du sans gêne avec lequel les Russes traitent les pacifiques Mongols : l’interprète de Mme de Balusek, Gomboë, qui, parlant bien le russe et ayant adopté le costume et les habitudes de ses maîtres, avait toute l’insolence d’un parvenu, se mit à rouer de coups un des postillons khalkhas de l’attelage de mon mari ; ce malheureux n’avait pu contenir son cheval, et avait failli accrocher la calèche où j’étais avec Mme de Balusek. M. de Bourboulon, qui

Mongols en dévotions devant un obo (voy. p. 246). — Dessin de Vaumort d’après l’album de Mme de Bourboulon.