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épreuves qui l’attendaient dans les forêts et les montagnes du pays des Khalkhas. Quant à la suite du ministre, faute de logements suffisants pour la recevoir, on la logea sous une vaste tente dans la première cour.

On ne se trouve pas dans une des villes les plus mystérieuses de l’extrême Orient, connue à peine depuis quelques années par les Européens, sans éprouver une grande curiosité. Dès le lendemain de son arrivée, M. de Bourboulon voulant se promener sans escorte au milieu de la capitale mongole (on lui avait garanti la mansuétude des habitants), s’achemina de bonne heure à travers le quartier russe vers les bords de la Toula. La grande prairie, où pâture le bétail des habitants d’Ourga, a dans cet endroit plus de deux kilomètres de large. À sa vue, à son costume insolite, les grands bœufs mugissaient, les yachs portaient en avant leurs cornes recourbées, les chevaux galopaient en détachant des ruades, les chiens fauves montraient leurs crocs aigus et grondaient sourdement, tandis que les bergers immobiles regardaient avec de grands yeux farouches. Après avoir bravé toutes ces menaces tacites, M. de Bourboulon arriva sur les bords de la Toula, et s’assit sur un tertre au pied d’un bouleau. En extase devant ce magnifique paysage, un des plus beaux qu’il soit donné à l’homme de contempler, heureux d’entendre murmurer à ses pieds les eaux pures de cette belle rivière, et jouissant avidement, après les déserts arides et uniformes qu’il venait de traverser, de la fertilité de cette riche et pittoresque nature, il était là, plongé dans une rêverie délicieuse, quand il entendit un bruit confus de paroles derrière lui : c’étaient des Mongols de la haute classe, des Taïtsi ou gentilshommes qui s’efforçaient de lui faire comprendre, par leurs signes multipliés, que s’il désirait traverser la rivière, ils le passeraient volontiers en croupe sur leurs chevaux. Pendant qu’il les remerciait de son mieux de leur offre obligeante, leurs serviteurs poussaient vers la rivière une nombreuse troupe de poulains qu’ils venaient d’acheter à Ourga. L’attitude de ces Mongols étaient pleine de dignité et tempérée en même temps par une expression de douceur et une extrême politesse. Un bonnet en soie cramoisie doublé de peaux de martre et orné d’une plume de faucon, un manteau en soie jaune et en fourrures, une pelisse également cramoisie, et de longues guêtres de velours noir composaient ce costume élégant ; ils ne portaient d’autres armes qu’un léger sabre chinois. Quel qu’en fût son désir, M. de Bourboulon ne pouvait, faute d’interprète, entrer en conversation avec ses interlocuteurs, et ceux-ci le quittèrent bientôt non sans l’avoir profondément salué ; lui-même rentra quelques instants après au consulat sans nouvelle aventure.

Boro-Bourak, plateau du Gobi (voy. t. X, p. 334). — Dessin de Vaumort d’après l’album de Mme de Bourboulon.

Le capitaine Bouvier fut moins heureux dans la promenade qu’il entreprit le même jour : après avoir traversé la Toula, il avait voulu pénétrer dans la montagne sacrée ; mais au bas de l’enceinte, des lamas campés sous des tentes se portèrent en foule au-devant de lui, et lui firent comprendre par des signes menaçants qu’il ne devait pas s’avancer dans cet asile du divin Bouddha ; plusieurs tentatives qu’il renouvela sur d’autres points, échouèrent de même ; la montagne était gardée partout, et la consigne la plus sévère s’opposait l’introduction de tout profane dans ces lieux consacrés à la divinité.

M. de Bourboulon avait un désir extrême de visiter la montagne sacrée qui avait pour lui l’attrait de la chose défendue. M. Schechmaroff en ayant obtenu, non sans peine, l’autorisation d’un des grands conseillers du Guison-Tamba, Mme de Balusek, Mme de Bourboulon qui avait voulu prendre un peu l’air, le ministre de France et le vice-consul s’y rendirent dans une tarenta escortée par un peloton de Cosaques. Dès qu’on fut arrivé à la Toula, les Cosaques se préparèrent à donner la représentation d’une grande pêche à la mode de leur pays ; on fit asseoir les spectateurs qui avaient passé la rivière à cheval, dans une île entourée de deux petits bras, sur un tapis de verdure magnifique à l’ombre de bouleaux et de saules pleureurs centenaires, tandis que les pêcheurs, frappant de leurs pieds l’eau où ils étaient plongés jusqu’au menton, barraient la rivière avec un tramail sur lequel ils rabattaient en un large demi cercle un filet analogue à une seine. Ce qu’il y avait de plus curieux, c’était l’adresse merveilleuse avec la-