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de ses chemises et les suspendis par un lien d’écorce à une branche d’arbre. Cette innocente espièglerie qu’on ne manqua pas d’attribuer à Yurima, l’esprit du mal, dut défrayer pendant huit jours la conversation des néophytes de Santa-Catalina.

Mission de Santa-Catalina.

Nous mîmes immédiatement le cap à l’est et descendîmes, avec la rapidité d’une flèche, la rivière de Santa-Catalina que nous avions remontée assez péniblement. Le lendemain, dans l’après-midi, nous laissions derrière nous le canal Yapaya et rentrions dans l’Ucayali. Nous coupâmes la rivière en diagonale pour atteindre un îlot de sable placé au milieu de son lit. Une halte de quelques heures que nous y fîmes, nous permit de souper et de tenir conseil. Deux courbes de la rivière, d’environ trois lieues chacune, nous séparaient encore de Tierra Blanca ; au lieu de passe r la nuit sur l’îlot, comme d’abord nous l’avions résolu, nous convînmes de la passer dans notre pirogue, et d’abandonner celle-ci à l’impulsion du courant. D’après l’évaluation de Julio elle devait se trouver par le travers de Tierra Blanca entre trois heures et quatre du matin. Confiant dans l’expérience de mon vieux Palinure, à dix heures je fis larguer l’amarre et prendre le large. Un moment après chacun de nous ronflait dans un ton différent, laissant l’embarcation flotter à la dérive comme un bouchon de liége.

Je ne sais depuis combien de temps je dormais, ni quel songe heureux me berçait, lorsque la main de Julio, en touchant mon épaule, interrompit mon sommeil et mon rêve. « Tierra Blanca », dit-il. Je me dressai sur mon séant et regardai autour de moi. La nuit était sombre. Les étoiles brillaient au ciel. Un brouillard léger rampait sur la rivière dont les berges étaient accusées par deux bandes d’un noir opaque. À notre gauche un point lumineux tremblait dans la brume. Julio gouverna sur ce phare inconnu en invitant ses compagnons à peser sur la rame. À mesure que nous en approchions, un vent frais, précurseur de l’aube, ridait la surface de l’Ucayali. Cependant le jour n’avait pas encore paru, quand nous atterrîmes devant Tierra Blanca. Laissant à mes gens le soin de désarmer la pirogue, je sautai en terre, et marchai vers le phare qui continuait à briller dans l’obscurité.

Paul Marcoy.

(La suite à la prochaine livraison.)