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Dans cette partie du territoire le sable est tellement fin et souple, que les hommes et les animaux qui se risquent à la traverser sont en danger d’être engloutis.

C’est particulièrement vers les contrées voisines de la mer que l’on voit l’olivier croître en abondance.

On peut dire, sans aucune exagération, qu’il n’est point de sol plus libéral et plus riche que celui de la Tunisie. On y trouve réunies toutes les essences d’arbres, toutes les fleurs, tous les fruits du nord et du sud. Aujourd’hui le blé et l’huile en sont les principaux produits ; mais de combien ne s’en faut-il pas que cette terre généreuse soit exploitée comme elle pourrait l’être ? Le plus grand obstacle est dans l’ignorance et la superstition du peuple. Les derniers beys ont prouvé qu’ils comprenaient ce qu’il y avait à faire pour régénérer le pays ; mais leur intelligence est de beaucoup trop en avance sur celle de leurs sujets pour qu’on puisse espérer de longtemps des progrès bien sérieux.

Dans beaucoup de parties de la Tunisie, on trouve l’argent, le mercure, le plomb, le fer, le cuivre, le cristal de roche et même l’or.

Sur les bords de la Medjerdab, comme sur le lac de Tunis, les flamants (Phœnicopterus Ruber) abondent ; ils vivent en société ; quand ils prennent leur volée on dirait une petite république en voyage. C’est chose très-difficile de les approcher, et ce n’est qu’à une grande distance qu’on peut tirer sur eux. À deux cents mètres, avec une carabine Minié, j’ai enlevé la tête à deux de ces pauvres innocents qui ne bougeaient pas plus qu’une cible. Ils passent les nuits sur le bord de l’eau, et quand on les aperçoit le matin, à l’aurore, on croit voir un régiment bien aligné. Le jour, ils parcourent en bandes nombreuses les environs où s’abattent souvent des nuées de sauterelles.


Promenades. — L’allée de la Marine.

Vue de la route de Carthage, Tunis offre un charmant aspect. J’en ai joui souvent à l’ombre d’un café dont j’ai fait un dessin. Il s’appelle la Wina et est situé au bord du lac. Les flamants semblent autant de sentinelles qui gardent ce poétique endroit. Le patron vend du café, du tabac, et perçoit aussi quelques paras pour l’eau qu’il distribue aux voyageurs altérés par une longue route sous un soleil tropical. Je m’asseyais près des indigènes gravement occupés à humer leur moka tout en fumant le chibouck. La population européenne s’y donne souvent rendez-vous. Les femmes viennent aussi se promener de ce côté, mais assez rarement ; leur promenade favorite est la grande allée de la Marine, nouvellement construite par les soins du consul qui s’y fait bâtir un grand hôtel (p. 21). On y rencontre des types admirables.

Cette avenue aboutit au lac ; elle se termine à une sorte de promontoire sur lequel ont été construits des magasins pour les marchandises. C’est près de là que viennent débarquer les passagers arrivant de France ou d’Algérie, et qu’on dépose tous les ballots. Cinquante à soixante petites barques à voiles latines y sont ancrées. Le dimanche matin une foule d’indigènes, vêtus de costumes à mille nuances, viennent y faire scintiller leurs couleurs orientales sous l’éclat du soleil. Ce sont de toutes parts des cris de joie. On s’embarque, une légère brise se lève, et les voilà toute la journée, hommes, femmes et enfants, à danser, rire, jouer du tarabouch, unis comme en une seule famille et toujours disposés à partager leur modique repas avec le premier étranger venu. Quel tableau brillant et varié ! il n’y a que la palette de Ziem qui pourrait rendre toute cette poésie du soleil, ces vêtements rouges, roses, bleus, verts ou jaunes ; ce grésillement de la multitude, cette mer splendide avec ses myriades de cliquetis de lumières. C’était pour moi une distraction bienfaisante lorsque j’étais désœuvré ou que le spleen s’emparait de moi.


Mission. — Le village des Zaghouans. — La source. — Le temple.

Grâce à la bienveillance du consul, j’ai été chargé d’une mission qui me permet de pénétrer un peu plus avant dans le pays. Le bey m’envoie au village des Zaghouans et vers les célèbres montagnes du Djougar. C’est là que sont les sources principales qui alimentaient Carthage. Je dois y dessiner les ruines de deux temples anciens : le premier, le temple du Zaghouan, et le second, celui du Djougar.

M. Dubois, ingénieur, m’est adjoint. Nous allons en plein désert. Il m’est agréable d’avoir, en perspective, à retracer en aquarelle ces temples et les paysages qui les entourent. M. Dubois se rendra compte de la quantité d’eau qui peut couler des sources par minute, relèvera les courants, les conduits, et calculera la quantité de siphons nécessaires pour remplacer tout ce qu’il est impossible de relever des anciens aqueducs de Carthage.

Nous étions en juin et déjà les chaleurs menaçaient d’être accablantes. Trois amis, chasseurs passionnés, se joignirent à notre escorte.

Nous quittâmes Tunis à quatre heures du matin ; deux heures après nous fîmes une halte pour manger un morceau et nous rafraîchir ; puis nous entrâmes dans le désert.

Le souvenir de ce voyage sera toujours pour moi une émotion charmante. Souvent nous traversions des gués dont les bords étaient ombragés de lauriers-rose ; nous rencontrions des restes d’aqueducs en partie détruits, en partie admirablement conservés : ce sont des constructions formidables, et l’on a peine à s’expliquer comment les Barbares ont pu venir à bout de les détruire.

Le soleil était dévorant : il n’y avait d’ombre que sous les turbans. Cependant nous décidâmes que nous dînerions à cheval, tout en continuant notre route. Après avoir péniblement cheminé toute la journée parmi les pierres et les débris des rochers qui jonchaient le terrain, car nous avions à faire une longue course où aucun chemin n’est tracé, nous finîmes par gagner le haut du col. Je commandai halte pour reposer nos chevaux ; il était cinq heures du soir et l’air commençait à devenir un peu tolérable. Nous nous arrêtâmes