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Comme le P. Antonio leur représentait la barbarie de cette action, ils lui dirent ingénument que c’était une vieille coutume des Schetibos de tuer tout Cachibo qu’ils rencontraient, et cela pour punir la nation dans l’individu, de son goût décidé pour la chair humaine. Toutefois, comme le dernier Cachibo qu’ils avaient surpris, était occupé à retirer du sable des œufs de tortue qu’il avalait crus, et que cette occupation leur avait paru dénoter chez lui des tendances à une alimentation plus honnête, au lieu de l’assommer sur place, comme ils faisaient habituellement de ses parents, ils s’étaient contentés de l’emmener devant Cosiabatay, de l’attacher à deux troncs en croix et de l’abandonner aux urubus. Pendant deux jours, le Cachibo, s’était tordu dans ses liens pour échapper aux attaques de ces oiseaux ; mais le troisième jour, les hideux vautours étant parvenus à faire une trouée, avaient pénétré au cœur de la place.

En écoutant ce récit qui fut accompagné de nouveaux rires, j’avoue que je regrettai de n’avoir pas la force de Typhon ou la taille de Polyphème pour empoigner nos hôtes par la nuque, les empaler au même pal, sans distinction d’âge et de sexe, et offrir cette brochette expiatoire aux mânes irritées du supplicié.

Nous nous couchâmes sitôt que la nuit fut venue. Dès qu’il fit jour, nos gens commencèrent à charger la pirogue de gypse, prenant à un tas que le prieur de Sarayacu avait fait déposer depuis longtemps derrière l’habitation des Schetibos. Cette précaution du révérend nous évita personnellement l’ennui et à nos rameurs la fatigue de remonter à contre-courant jusqu’à la carrière de ce minéral, située à cinq lieues en amont du rio de Cosiabatay.

Restauration des saints à Sarayacu.

En entrant dans l’Ucayali, nous nous dirigeâmes vers l’îlot où se trouvait le cadavre du Cachibo, afin de lui creuser une sépulture ; mais avant de l’atteindre, un coup d’œil nous suffit pour reconnaître que la croix et l’homme avaient disparu. Comme leur disparition nous semblait tenir du prodige, nous ralliâmes l’îlot pour vérifier l’état de lieux et nous renseigner sur l’événement.

Un trou profond occupait l’emplacement du gibet funèbre. À partir de cet endroit, le sable violemment labouré et de nombreuses traces de pieds nus qui se poursuivaient jusqu’au bord de l’eau, indiquaient que la croix avait été abattue, traînée à la rivière et livrée au courant avec le cadavre qu’elle portait. Naturellement nous attribuâmes cette besogne à nos hôtes les Schetibos. Inquiets du mécontentement que nous leur avions témoigné la veille, et craignant que leurs relations commerciales avec les Missions n’en souffrissent plus tard, ils étaient venus de nuit faire disparaître le corps du