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cèrent au premier rang et deux acteurs entrèrent dans l’espace vide qui figurait la scène.

L’un était vêtu d’une apparence d’habit noir à boutons rouges, peint sur son corps avec du genipa et du rocou. Un mouchoir de cotonnade était tortillé sur sa tête en manière de calotte ou de fez ; une longue barbe postiche complétait cet accoutrement. Il portait sous son bras un rouleau de fines écorces destinées à simuler des paperasses, et tenait à la main un démêloir de forme étrange.

L’autre avait la face enfarinée ; il était muni d’une calebasse figurant un encrier, d’une plume arrachée à l’aile d’un hocco, et tenait délicatement entre ; le pouce et l’index une façon d’équerre dans lequel était enchâssé un fragment de miroir.

« El frac negro (l’habit noir), c’est Smith ; el escribano (l’écrivain), c’est Lowe, » me dit tout bas le révérend Plaza.

Je compris alors que la comédie dont il s’agissait, au lieu d’être une œuvre théâtrale écrite par les voyageurs anglais, comme je l’avais cru, était simplement une critique faite sur leur compte, et, comme une première découverte dans le domaine de la vérité en entraîne une foule d’autres, je devinai non-seulement l’intention des acteurs et le sens de leur mascarade, mais je reconnus dans l’équerre au miroir cassé, une allégorie ingénieuse et transparente de l’octant dont MM. Smith et Frédéric Lowe avaient dû se servir devant les néophytes.

La reine de Noël et ses suivantes.

Les observations solaires commencèrent : le faux Smith l’œil collé à la vitre de sa machine et les jambes ouvertes en branches de compas, baragouinait très-vite un idiome impossible, où les yes, les of, les well qui revenaient à temps égaux, me parurent destinés à reproduire par onomatopées la langue et l’accent britanniques de l’officier de marine. À mesure que le faux Smith semblait appeler un degré, le faux Lowe un genou en terre, feignait de le répéter et d’en prendre note. De temps en temps, le faux Smith interrompait ses observations pour introduire dans sa barbe d’étoupe rougie au rocou — le véritable Smith devait être d’un blond de cuivre, — un démêloir formé de la nageoire d’un poisson. Le faux Lowe profitait de ce temps d’arrêt, pour examiner le bec de sa plume et le rafraîchir à l’aide d’un canif absent. La mimique des acteurs devait être surprenante d’imitation, à en juger par les cris féroces et les trépignements enthousiastes qu’elle arrachait à l’assistance.

J’avoue qu’à ce moment l’idée me vint de demander au révérend Plaza, dont le rire épanoui jusqu’aux larmes me paraissait jurer un peu avec les préceptes de charité promulgués par le divin maître, si l’autorisation donnée par lui aux néophytes de transformer MM. Smith et Lowe en polichinelles, était une façon neuve et spiri-