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destinés à donner du nerf aux travailleurs, à les maintenir en joie et à les renvoyer chez eux satisfaits et chantants.

Pour subvenir à cette consommation prodigieuse, l’énorme moulin à broyer les cannes, qui fait face à l’église, s’ébranle souvent sur son axe et manœuvré par deux hommes qui grimpent et circulent dans ses roues à la façon des écureuils dans leur cage tournante, fait entendre des grincements affreux qui nous déchiraient les oreilles, mais que la population des deux sexes accueille par des cris joyeux.

Toutefois, cet approvisionnement mensuel d’eau de feu, si considérable qu’il puisse être, ne suffit pas aux néophytes et pour obvier à cette insuffisance, chacun d’eux cultive lui-même la canne à sucre et en fabrique du tafia.

Comme ces récoltes et ces distillations ont lieu à des jours différents et que l’usage est de s’inviter entre amis et voisins à goûter la liqueur nouvelle, les conviés se réunissent chez le propriétaire et font l’essai de sa boisson tout en dansant et s’accompagnant d’un peu de musique. De cet usage en vigueur chez les néophytes et du soin qu’a chaque ménage de faire choix d’un jour particulier pour préparer la boisson qu’il consomme, il résulte que les libations, la danse et la musique ne cessent sur un point que pour commencer sur un autre. Heureuses gens, pour qui l’existence n’est qu’un long jour de fête !

Le parc à tortues de Sarayacu.

Déjà fort égayée par le fifre et le tambourin qui y résonnent pendant une partie de la semaine, la Mission de Sarayacu a encore des jours de liesse et des solennités religieuses où ce fifre et ce tambourin sont renforcés par une grosse caisse, un chapeau chinois et une paire de cymbales. Ces instruments apportés autrefois de Lima par le révérend Plaza, sont un témoignage authentique et bruyant de son entrevue avec le vice-roi Abasctl. Quoique détériorés par le temps et la main inintelligente des néophytes qui en jouent un peu comme pourraient le faire des sourds et des aveugles, ils rendent encore d’utiles services, et réunis aux fifres et aux tambours, composent un orchestre assez belliqueux.

Habituellement ces instruments carillonnent à l’aventure et ne font que du bruit ; mais les jours de procession, l’orgue-serinette tenu par Zéphirin le charpentier et qu’un néophyte porte sur son dos, joue un air quelconque sur lequel la masse des cuivres plaque de temps en temps un accord plus ou moins bruyant, plus ou moins heureux.

Cette musique est accompagnée par la détonation des obusiers, le sifflement des fusées et le petillement des soleils d’artifice, auxquels se joignent les cris joyeux