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au sud par le Sahara, à l’ouest par l’Algérie. Sa surface est d’environ six mille lieues carrées. On suppose que le nombre de ses habitants n’est pas de plus de dix-huit cent mille[1].

Le territoire de la régence est divisé administrativement en califats et en deux parties à peu près égales, celle d’été et celle d’hiver. On les nomme ainsi, dit le docteur Franck, parce que le bey du camp, titre que l’on donne toujours à l’héritier présomptif du pouvoir[2], parcourt avec une armée en été l’une de ces parties, et en hiver l’autre, pour percevoir les impôts. Le quartier d’été comprend la partie qui s’étend au nord et au nord-ouest de la capitale jusqu’aux côtes qui dépendent de l’Algérie. Toute l’autre partie au midi forme le quartier d’hiver.

La race tunisienne est généralement belle. Les hommes sont d’une construction sèche ; il y en a peu d’infirmes ou de contrefaits. Leur vie sobre et tranquille les préserve de beaucoup de maladies qui sont communes en Europe.

Les femmes mauresques sont belles ; leur teint est très-animé ; leurs yeux sont grands, bien fendus, ont beaucoup d’expression. Elles ont presque toutes des cheveux d’un beau noir bleu ; elles les tressent et les laissent flotter sur leurs épaules. L’embonpoint est en Tunisie, comme dans la plupart des pays orientaux, une des conditions essentielles de la beauté. On assure que les Tunisiennes ont une recette assurée pour devenir grasses : c’est de manger de jeunes chiens.

Les femmes riches se couvrent d’ornements d’or et d’argent, de miroirs, de pierreries, de cassolettes, de chaînettes, de coraux. Les femmes pauvres ou arabes se chargent de verroteries et de bijoux de cuivre.

Les enfants, en naissant, ont le teint blanc comme en Europe, ou plutôt mat. L’ardeur du soleil leur donne peu à peu une teinte foncée qui, du reste, n’a rien de déplaisant.

Rue Sidi-Mahrès, à Tunis. — Dessin de A. de Bar d’après une aquarelle de M. Am. Crapelet.

La forme du gouvernement est celle d’une monarchie héréditaire.

Le bey est encore nominalement vassal du sultan de Constantinople. À l’avénement de chaque nouveau bey, le Grand Seigneur envoie le grand caftan d’honneur et un firman d’investiture. C’est le signe que le sultan n’a pas renoncé à tout droit sur les anciens États barbaresques. Les beys ne jugent pas nécessaire de repousser l’insinuation et feignent de la considérer comme n’ayant rapport qu’à l’autorité religieuse du chef des croyants. En réalité, depuis longtemps ce serait plutôt à la France que la Tunisie serait disposée à rendre hommage : elle a, en effet, tout à espérer de nos sympathies ou tout à craindre de notre mécontentement, surtout depuis que nous sommes en possession de l’Algérie. L’Angleterre a bien aussi la prétention d’exercer quelque influence sur la régence, mais elle est trop loin. De toutes les villes musulmanes, Tunis est peut-être celle où les Français sont le plus incontestablement placés par l’opinion des indigènes au-dessus des autres nations européennes.

Le pouvoir du bey, sauf les conséquences qui peuvent naître de la nouvelle constitution, est tout à fait absolu ou despotique. Il consulte son conseil ou le divan, mais il est toujours libre de ne suivre que sa volonté.


De la justice. — Les jugements du bey. — Les châtiments.

Parlons de la justice. C’est à ce point qu’il faut porter tout d’abord son regard lorsque l’on veut apprécier l’état de la civilisation chez un peuple, comme lorsqu’on veut connaître l’état de santé d’un homme on place le doigt sur le battement de son artère. Telle justice, telle civilisation.

Le bey est le premier magistrat du royaume. Ce fait est à lui seul une énormité. C’est le signe que la forme du gouvernement est arbitraire au suprême degré. Tous les pouvoirs sont confondus en un seul.

Le bey doit-il du moins juger d’après un code écrit ou en prenant conseil d’un tribunal ? Non. Il ne relève que de lui-même ; on voit d’ici les conséquences. Trois ou quatre fois chaque semaine, il monte sur son trône sous une tente splendide dressée vis-à-vis de son palais de la Marsa.

  1. Ces évaluations sont incertaines. Selon le docteur Franck, qui écrivait vers 1810, la population, composée de Maures, Turcs, Arabes, Juifs et Berbères, était alors de trois millions d’habitants. Les derniers voyageurs affirment que ce chiffre serait aujourd’hui très-exagéré.
  2. L’héritier présomptif est, non pas nécessairement un fils du bey régnant, mais l’aîné de toute la famille.