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Déjà en 1819, la renommée du père Plaza, qui avait traversé les Andes, lui avait valu l’honneur d’être appelé à Lima par le vice-roi Abascal, qui voulait être renseigné sur la navigation des rivières de l’intérieur, dans le cas où l’armée royaliste, prise entre les Indépendants du nord et du sud qui tentaient d’opérer leur jonction du côté de Lima, serait forcée de se replier sur Jauja et les allées de l’est. Notre missionnaire se rendit à l’invitation du vice-roi, lui donna tous les renseignements qu’il put souhaiter, et, comblé d’éloges et de dons pécuniaires, revint à Sarayacu en descendant les rivières Apurimac et Chanchamayo qu’il avait remontées pour gagner Andamarca, Tarma et enfin Lima.

Malheureusement pour l’avenir des Missions qu’il dirigeait, comme pour le sien propre, les indications et les renseignements du révérend Plaza, si précis qu’ils fussent, ne purent empêcher que les troupes de Sucre et de Bolivar ne se rejoignissent, que l’armée royaliste prise entre deux feux ne fût battue dans les plaines d’Ayacucho, la domination espagnole abolie et l’indépendance du Pérou proclamée.

Ces événements, qui bouleversèrent la face du pays, eurent pour les Missions un contre-coup terrible. À la première nouvelle du soulèvement des patriotes, un ordre émané du collège d’Ocopa enjoignit à tous les missionnaires de quitter leurs Missions dans le plus bref délai et de venir se rallier à leur supérieur. Le père Plaza, qui ne relevait pas directement du couvent d’Ocopa, bien qu’il en suivît la règle, fut excepté ou plutôt ne fut pas compris dans cette mesure.

En peu de temps, les Missions de l’Ucayali, abandonnées par leur pasteurs, se dépeuplèrent une à une. La plupart des néophytes retournèrent vivre dans les bois avec leurs frères barbares ; quelques-uns se réunirent aux chrétiens de Sarayacu. Le révérend Plaza, à qui la nouvelle république et le collége d’Ocopa ne venaient plus en aide, comprit que sa mission ne pouvait vivre de l’autel et tâcha de les faire vivre par le commerce. Il planta des cannes à sucre, fabriqua du tafia et de la mélasse, fit des salaisons de poisson, recueillit dans les forêts de la salsepareille et du cacao et alla jusqu’à la frontière du Brésil tirer parti de ces denrées.

Femmes de Sarayacu en costume d’église.

Cette vie de labeur et de spéculation dura sept années ; puis un jour vint où le chagrin et la maladie eurent raison de l’énergique volonté du révérend. Une fièvre maligne s’abattit sur lui et l’obligea de garder le lit pendant cinq semaines. Quand il fut en état de rassembler deux idées, il se sentit si affaibli au physique, si découragé au moral, qu’il jugea nécessaire d’aller respirer l’air natal et de consulter sur son état les docteurs du pays. Il quitta donc Sarayacu, descendit l’Ucayali, entra dans le Maranon et remonta la rivière Napo. Après quarante jours de navigation, il atteignait le village de Santa-Rosa, d’où quatorze jours de marche le conduisaient à Quito.

Une entrevue qu’il eut avec l’évêque de Quito, don Rafael Lazo de la Vega et le libérateur Simon Bolivar, lui valut du premier force éloges sur sa belle conduite et du second un mandat de deux cent cinquante piastres sur le trésor. À cette libéralité du héros d’Ayacucho, un frère de notre missionnaire, le chanoine Plaza, ajouta trois cents piastres qui lui permirent de s’approvisionner d’une foule de choses qui manquaient depuis longtemps à sa Mission. Ce changement de fortune influa heureusement sur sa santé qui se rétablit à vue d’œil. À peine eut-il recouvré assez de force pour se mettre en voyage qu’il prit congé des personnes qui l’avaient secouru et se rembarqua sur la rivière Napo. Après huit mois d’absence, il était de retour à Sarayacu. Les néophytes des deux sexes auxquels par une grâce toute spéciale, il avait réussi à inspirer autant d’attachement pour sa personne que de terreur pour la cravache en nerf de lamantin dont il usait à leur égard, les néophytes firent éclater à sa vue les transports les plus vifs ; hommes et femmes couvrirent ses mains de baisers, et le croyant toujours malade, le prirent dans leurs bras et le portèrent jusqu’à sa cellule. À l’ancien règlement que le révérend Plaza remit en vigueur, le jour même de son arrivée, les enfants de son cœur, comme il les appelait, reconnurent bien vite que leur père spirituel avait recouvré la santé du corps et celle de l’esprit.