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invisibles à distance, donnaient à ces dernières l’apparence d’oiseaux-mouches ou de papillons arrêtés dans leur vol. Des sarmenteuses aux multiples faisceaux, des lianes aux nœuds inextricables, et dont le feuillage, rigide et lustré, rappelait vaguement le lierre d’Europe, revêtaient d’un épais manteau le tronc des arbres qu’elles devaient plus tard étouffer dans leurs replis. De loin en loin un groupe de ficus posés sur leur piédestal de racines et pareils aux colonnes accouplées de nos basiliques, filaient d’un jet puissant à travers les verdures et semblaient porter à eux seuls le poids de l’immense coupole étendue sur nos têtes. Une fraîche odeur de végétation et d’herbes mouillées à laquelle se mêlaient des aromes inconnus, flottait dans l’air ambiant. Chacun de nous dilatait ses narines et enflait ses poumons pour saisir au passage ces émanations embaumées, en attendant qu’il lui fût donné de flairer l’odeur plus substantielle des cuisines de la Mission.

Honneurs rendus au comte de la Blanche-Épine.

Après une demi-heure de marche au pas gymnastique, nous débouchions dans une clairière, dont le sol dépouillé d’arbustes et de buissons était tapissé d’herbe rase. Quelques grands arbres que la hache avait épargnés à dessein voilaient d’une ombre protectrice cet espace à peu près circulaire où s’élevaient, inégalement espacées, une douzaine de chaumières à toiture de palmes. À l’humble grange surmontée d’une croix de bois et qui devait être une église ; au clocher, calotte de chaume posée sur quatre pieux, un peu à l’écart, et que, sans la cloche suspendue à une traverse, on eût pris pour un pigeonnier, nous reconnûmes un village ou une Mission ; peut-être était-ce l’un et l’autre. L’endroit, comme nous l’apprîmes plus tard, avait nom Belen (Bethléem) et servait d’avant-poste à Sarayacu. Au reste, les portes des chaumières étaient hermétiquement closes, et pendant la halte de quelques minutes que nous fîmes devant leur seuil, nul être humain ne s’étant montré à qui nous pussions demander des renseignements sur la localité, nous l’abandonnâmes pour reprendre le sentier qui, pareil au fil d’Ariane, guidait notre marche incertaine à travers le labyrinthe de la forêt.

Bientôt les arbres s’espacèrent, la double ligne des fourrés se recula, le sentier s’élargit et devint une grande route, l’azur du ciel que nous avions perdu de vue au sortir de la plage se montra de nouveau, et des flots de soleil nous enveloppèrent ; la chaleur déjà brûlante de cet astre eut pour effet immédiat de faire fumer sur nos corps nos vêtements mouillés. Comme nous nous dilations sous sa bienfaisante influence, quelques néophytes parurent à l’extrémité du chemin et nous saluèrent par des exclamations bruyantes. À leur tête marchait le Yankee de la veille que le capitaine et