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turbable. Les produits français, tout le monde sait cela, sont quatre fois plus étoffés que les autres. »

À demi convaincu, le douanier planta par acquit de conscience sa sonde dans le baril. Par un hasard inouï, la sonde entra juste dans la bouche du canon et l’enfila d’avant en arrière, ce qui économisa à Barroni les deux talaris qu’il lui eût coûté d’acheter le douanier.

Cet engin a été acheté par un riche indigène, et le 25 juin dernier, lors de la fête du sultan, l’acheteur a voulu faire du zèle et a tiré son canon, qui a éclaté au premier coup : plus inoffensif, je me hâte de le dire, que le canon de Gringoire, « qui tua vingt-quatre curieux. »

Pour en revenir à des choses plus sérieuses, la lutte acharnée de M. Barroni contre le vrai parti du crime avait fait de lui le centre de toutes les réclamations contre des faits d’esclavage, quelle que fût la nationalité du réclamant. Parmi les nombreuses lettres qu’il recevait chaque jour à ce sujet, j’en reproduirai une, parce qu’elle est signée d’un nom connu des amis des découvertes géographiques dans l’Afrique orientale. Elle est datée du 7 janvier 1859 :

« Le soussigné, délégué vicaire de S. G. Mgr Massaja, évêque et vicaire apostolique des pays Galla, a l’honneur de vous informer qu’une caravane musulmane qui passa dernièrement à Halaï conduisait cinquante esclaves galla, dont cinq jeunes filles chrétiennes sont natives du Goudrou-Lagmara-Jimma ; elles ont été baptisées par Mgr Massaja. J’ignore le nom et l’âge de ces enfants. Le soussigné se fait un devoir de vous prier et vient par la présente requérir l’autorité et la protection du gouvernement de Sa Majesté Britannique, afin que vous réclamiez et retiriez d’entre les mains des musulmans ces cinq enfants qui ont été ravis à leurs parents par ces infâmes marchands et trafiquants de chair humaine.

« Fr. Léon des Avanchers. »
Ras Mider et Ras Gherar. — Dessin de Eug. Cicéri d’après un croquis de M. G. Lejean.

On me demandera si le résultat matériel de ses efforts répondait à l’énergie persévérante qu’il a montrée ? Je répondrai en transcrivant simplement une note sans signature que j’ai trouvée dans ses papiers :

Esclaves délivrés après le départ de W. Plowden, esq. : 1855, 2 de Tehuladere (Gallas) ; 1 de Mensa ; 148 de Magatul ; 1 d’Atti-Letta ; 160 (empêché leur embarquement pour Djedda). — 1856. 240 (caravane arrêtée sur territoire ottoman et renvoyée en Abyssinie). — 1857. 2 de Choa ; 2 de Mensa ; 4 d’origine inconnue. — 1858-1859. 1 de Mensa ; 2 de Kéren ; 2 confiés à la maison Stéphau. — 1860-1861. 2 envoyés à Arkiko ; 1 déposé au consulat de France et ensuite rapatrié. »

La note s’arrête là. Une autre note de la même date se termine ainsi : « Les habitants de cette ville, et spécialement les marchands d’esclaves, sont ravis de l’avénement d’Abdul-Aziz et le regardent comme un envoyé du ciel pour relever (for the revival) leur commerce qui déclinait dans la mer Rouge. »

Depuis quelques années l’action de M. Barroni se heurtait à un obstacle d’une nature assez étrange : le résident britannique à Aden, dont il relevait, sans précisément désavouer ses actes, s’engageait à ne pas persévérer dans cette lutte contre l’esclavage sous pavillon ottoman, « de crainte d’affaiblir le prestige, dans la mer Rouge, de ce pavillon ami. » Je livre ce petit fait, dont j’ai la preuve écrite en main, à l’appréciation des amis loyaux et convaincus de l’abolitionnisme au delà de la Manche.


XVIII

Un peu d’histoire. — Les gouverneurs de Massaoua : tracasseries et vexations. — Ibrahim : sa fin tragique. — Un poëte turc. — Promenades autour de Massaoua. — Le mont Ghedem. — Arkike et ses princes. — Dessi, possessions françaises. — Conclusion.

On peut lire dans Bruce et Ruppel l’histoire du gouvernement de Massaoua, depuis le mois d’avril 1557