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J’essayai, mon tour venu, de prendre place au bassin de Maï Ooi ; mais je n’en pus supporter la température, et à moitié cuit, je me levai et me contentai d’un bain de pied. Après avoir fait l’ascension de la colline voisine et admiré à mon loisir les montagnes boisées, sourcilleuses et sombres qui dominent à l’ouest la plaine d’Aïlat, je repris le chemin du village, et n’ayant plus rien à y faire, je donnai le signal du départ.

J’eus d’abord à franchir, par une dépression où serpentait un khor pierreux et pénible à parcourir, la chaîne des montagnes qui ferment l’horizon dans la vue ci-contre (p. 147), et qu’on nomme Sakar. De là je marchai pendant trois heures à travers des collines de plus en plus basses, et j’arrivai à un endroit nommé Saati où stationnent toutes les caravanes, attirées par le voisinage de l’eau et par un peu d’herbe pour leurs montures. C’est un large lit de torrent qui y est coupé par un ressaut de quelques mètres formé d’un banc de roches (de la dolérite, si j’ai bonne mémoire) lisses et polies comme le marbre. Ce ressaut, qui forme une assez jolie cascade lors des pluies, empêche les caravanes de suivre le lit du torrent jusqu’au pied des montagnes : elles tournent l’obstacle en entrant dans un petit vallon où coule un ruisselet d’une limpidité perfide. Ma pauvre mule, qui mourait de soif, trempa ses naseaux dans ce ruisseau et releva la tête avec une grimace éloquente : cette eau était saumâtre au plus haut degré.

Kkor de Desset à une heure de Saati. — Dessin de Eug. Cicéri d’après un croquis de M. G. Lejean.

Nous n’en campâmes pas moins en ce lieu où nous avaient précédés deux ou trois caravanes de petits marchands abyssins descendus de Hamazène avec leurs vigoureux petits ânes chargés de koaratchas (peaux écrues de vaches), de beurre et de menus articles du même genre. J’étais très-las et j’avais besoin d’un peu de repos et d’ombre ; mais ce jour-là, la halte de midi fut dépourvue pour moi du charme que j’appréciais le plus : je veux parler du café. Je souhaite à mon plus violent ennemi d’avaler trois jours de suite l’abominable boisson salée qui me fut servie sous prétexte de moka ; je pus, en y goûtant, avoir un avant-goût des douceurs de la mer Morte. Je me hâte d’ajouter, à l’usage des chasseurs qui s’aventureraient de ce côté, qu’il y a de bonne eau à quelques minutes de là vers le sud, ainsi que je l’appris plus tard.

Parti vers les deux heures de Saati, il me fallut encore trois heures pour gagner Monkoullo, grosse bourgade située à six kilomètres de Massaoua, dans une plaine aride, mais pourvue d’un véritable trésor : cinq ou six puits d’eau délicieuse. Comme Massaoua n’a pas de puits et n’a que des citernes qui sont à sec huit ou neuf mois de l’année, l’eau de Monkoullo est l’objet d’un trafic qui suffit à faire vivre cette industrieuse et