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de Terké, les Ad-Seguina au nord-est, les Ad-Korsokor au sud et à l’ouest. C’est un peuple à la fois agricole et pasteur : il cultive peu sur son plateau, qui, malgré la belle apparence de ses vastes plaines, est assez aride et manque surtout d’eau ; mais il descend dans les plaines de Beugou, d’Haggatz, d’Inchinak, et y sème du dourra. En cas de déficit, il vend ses vaches et achète du grain dans le Barka ou l’Abyssinie. Sa vraie richesse, son orgueil, c’est son bétail. Dans l’estimation des fortunes, au Sennaheit, l’unité courante est le mokta, ou troupeau de cinquante vaches. Deux moktas constituent ce qu’on nommerait en France « une honnête aisance : » quatre moktas sont une fortune.

L’organisation aristocratique des choumaglié existe parmi les Bogos comme dans le Sennaheit : je n’ai rien de particulier à en dire. Le droit d’aînesse, qui en est la conséquence naturelle, y est aussi en pleine vigueur. Si un choumaglié meurt, son fils aîné hérite du mobilier, de l’épée patrimoniale, des vaches blanches du troupeau, des tigres, et, en certains cas, de la veuve. Cet usage, assez bizarre pour un peuple chrétien, a besoin d’être expliqué. Si un homme marié vient à mourir, les parents ou même les enfants d’un autre lit ont le droit (et, jusqu’à un certain point, le devoir) d’épouser sa veuve, ce qui ne paraît irrégulier à personne, et semble, au contraire, chez les Bogos chrétiens comme chez les Beni-Amer musulmans, un acte de protection chevaleresque et une manière d’honorer le souvenir du défunt. Quant aux fils autres que l’aîné, il leur doit une part d’héritage suffisante pour aller vivre ailleurs. Par une disposition spéciale et qui est certainement d’une délicatesse remarquable, le plus jeune fils hérite de la maison paternelle. Il semble que la loi le suppose toujours le plus digne d’aimer et de conserver à la fois le souvenir de son père et le foyer qui en est le signe matériel.

Dolmen de Lalamba. — Dessin de Eug. Cicéri d’après un croquis de M. G. Lejean.

Les filles n’ont droit à rien : il est vrai que la plupart se marient très-jeunes. Elles sont presque toutes d’une beauté fine, délicate, avec quelque chose d’un peu farouche ; rien n’égale l’éclat de leurs yeux noirs, adouci par le ton de bronze florentin de leur peau. Feu Plowden, consul d’Angleterre à Gondar, qui a vécu au moins douze ans en Abyssinie, et qui s’était fait le chevalier de la beauté abyssine au point de mettre franchement. les jeunes filles de Gondar au niveau des plus jolies misses de Londres, a, je crois, fait remarquer avec raison que les longs yeux noirs des Africaines qui, sur un visage européen, feraient un contraste dur et criard avec la blancheur pâle ou rosée du teint, emprunte un charme pénétrant au fond cuivré qui les entoure et les éteint en quelque sorte.

La femme, chez les Bogos, n’a guère de droits sociaux : et cependant, par une triste inconséquence, elle