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Lac de Balaghinda. — Dessin de Eng. Cicéri d’après un croquis de M. G. Lejean.



VOYAGE AU TAKA

(HAUTE NUBIE)


PAR M. GUILLAUME LEJEAN[1].
1864. — TEXTE ET DESSINS INÉDITS.


IV

La chasse aux nègres faite officiellement. — Débâcle, misère, défaites. — Informations sur les Denka. — Un peuple qui a les yeux sous l’aisselle : les Blemmyes. — Les Takarir. — Nouvelles d’Édouard Vogel.

« Ne soyons nullement surpris, ajoutait mon correspondant, de voir les gens du Djabbellinn continuer leurs brigandages, lorsque le gouvernement égyptien lui-même fait des razzias de tous côtés.

« Absin, le mudir actuel de Khartoum, et Addem-Bey battent Abramlé, pendant que la cavalerie des Chaguié et quelques Djahhaddie sous les ordres les uns de Malek-ab-Rof, les autres de Redjeb-Adlan, pillent les Denka de l’est ; Mouça Pacha a enlevé beaucoup d’hommes au Kordofan.

« Le pillage d’esclaves sera toujours le même tant que le gouvernement ne changera pas son système actuel de se procurer des soldats. »

D’autres renseignements que je reçus de divers côtés m’expliquèrent, en me les confirmant, ces tristes nouvelles. L’Égypte voulait profiter des embarras de Théodore II pour tenter un guet-apens sur l’Abyssinie : Mouça Pacha, en l’habileté militaire duquel le vice-roi avait une grande confiance, avait été chargé d’élaborer ce plan, sur lequel j’ai eu beaucoup de lumières confidentielles dontje me réserve d’user en temps et lieu. Le tanzimat qui limite à quinze mille hommes l’effectif de l’armée égyptienne était bien un obstacle : on s’en débarrassa en le foulant simplement aux pieds. Tout fut mis en œuvre pour se créer une armée. En 1863 le pacha, marchant sur Gallabat, n’avait réussi qu’à réunir huit mille hommes, les troupes les plus grotesques du monde : il fallait quelque chose de plus sérieux. Une vaste battue aux nègres commença sur une échelle énorme, au Fazokl, au Tagali, au Denka, aux frontières d’Abyssinie, au fleuve Blanc. Le nègre de cette région est une brute, mais s’il a un fusil aux mains, il se bat avec la ténacité stupide du boule-dogue, sans du reste comprendre pourquoi. C’était, pour le gouvernement égyptien, un noyau d’infanterie modèle. Tous les grands chefs du Sennâr furent donc taxés à un certain chiffre de têtes de ce gibier humain. Pour compléter les cadres, le pacha fit la presse aux soldats partout, dans les maisons particulières, et même parmi les domestiques des Européens, qu’avaient jusqu’alors protégés leurs pavillons : on réunit ainsi vingt mille hommes, un ramassis hétérogène et surtout hétéroclite, peu capable d’inspirer de graves inquiétudes

  1. Suite. — Voy. page 97.