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en jade, laques, cristal de roche, porcelaine, en garnissaient les angles ; la table, ronde et très-élevée, occupait le milieu de la pièce ; enfin des fleurs en pots, camellias, hydrangées, rosiers, lien-wa ou nymphéa à fleurs roses, donnaient à la salle à manger l’aspect d’une exposition d’horticulture.

« Hen-Ki nous faisant passer devant lui, m’invita à m’asseoir et prit place en face de moi ; l’interprète se mit entre nous deux. En ce moment retentit dans la cour un bruit épouvantable : c’était une servante qui annonçait en frappant sur le gong à coups de marteau le commencement du repas des illustres seigneurs (voy. p. 85). Trois domestiques se tenaient derrière nous, prêts à accomplir nos volontés au moindre geste ; un maître d’hôtel apportait les plats. Je remarquai que la salle à manger était carrelée avec de larges dalles de pierre de différentes couleurs formant une sorte de mosaïque. Aucune natte ne protégeait les pieds contre une vive sensation de froid : l’hiver, cette pièce est chauffée par de petits réchauds portatifs dont la fumée de charbon de terre se condense en vapeurs d’acide carbonique tellement insoutenables qu’on est forcé de laisser toutes les portes ouvertes. Un bon système de chauffage est ce qui manque le plus dans l’intérieur des maisons chinoises, qui réunissent d’ailleurs l’élégance au confortable. Heureusement nous étions au mois de juin et il faisait très-chaud.

Cochons chinois. — Dessin de Lehnert d’après une peinture chinoise.

« On servit d’abord sur la table le dessert, composé de mets rafraîchissants, tels que des tranches de pastèque, de la crème fouettée, du sirop de fruits, du fromage de Mongolie en forme de tablettes, très-dur et ressemblant à du plâtre ; puis vint le premier service : des entremets sucrés, confiseries et sucreries de toute sorte auxquelles la graisse rance qui avait servi à les fabriquer donnait un goût insoutenable. Deux bols pleins de graines de pastèques accompagnaient ces douceurs. Hen-Ki épluchait les graines avec ses grands ongles et les croquait avec des grimaces de satisfaction, tandis que dans l’autre coin de sa bouche il aspirait majestueusement la fumée de sa pipe ; on eût dit, tellement l’expression en était différente, que la figure de l’illustre mandarin était composée de deux parties étrangères l’une à l’autre, celle qui mangeait et celle qui fumait ! Les graines de pastèque sont d’un goût agréable qui rappelle celui des amandes fraîches ; elles sont d’un usage d’autant plus répandu qu’on prétend qu’elles font trouver le vin meilleur. Nos serviteurs étaient constamment occupés à nous verser de différents vins, du champagne, du madère, du bordeaux, du vin de riz et du thé dans de petites tasses, grandes tout au plus comme celles avec lesquelles les enfants jouent à la dînette.

« Les vins d’Europe, surtout les deux premiers, commencent à être répandus en Chine, ainsi que le curaçao, le marasquin et la chartreuse ; on prétend même que la maladie qui emporta l’empereur Hien-Foung à la fleur de l’âge avait été causée par l’abus excessif qu’il avait fait des liqueurs d’importation européenne (voy. p. 91).

« Aux entremets succéda une profusion de plats : quatre fois la table fut desservie et se garnit de nouveau