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mée française perdaient leurs appointements du mois dès le lendemain de la paye ; quelques-uns ayant engagé leurs habits aux croupiers qui sont en même temps prêteurs sur gages, s’échappaient au milieu des huées de la populace, et revenaient au camp à peine couverts d’un caleçon. Les combats de coqs et de cailles ont encore le privilége d’exciter les passions aléatoires des Chinois, qui y risquent des enjeux considérables. Les gens riches, les marchands sont aussi joueurs que la plèbe : ils se réunissent dans des maisons de thé, où ils passent jour et nuit à jouer aux cartes, aux dés, aux dominos et aux dames. Les cartes, longues de quinze centimètres environ, sont très-étroites ; elles sont assez semblables aux nôtres, avec des figures et des points marqués de différentes couleurs ; le jeu le plus usuel paraît être une sorte de besigue. Les dames sont carrées, et les cases rondes ; les dominos plats avec des marques rouges et bleues ; on joue aussi aux dames avec des dés, ce qui compose une manière de trictrac. Les dés sont préférés par les joueurs de profession, comme étant le jeu de hasard par excellence. Après y avoir perdu leur argent, ils jouent leurs champs, leur maison, leurs enfants, leurs femmes et jusqu’à eux-mêmes, quand ils n’ont plus rien et que leur adversaire consent à accepter ce suprême enjeu. Un marchand de Tien-tsin, qui avait à la main gauche deux doigts de moins, les avait perdus aux dés. Les femmes et les enfants jouent au volant ; c’est un de leurs exercices favoris, et ils y sont d’une adresse peu commune. Le volant se compose d’un morceau de cuir roulé en boule surmonté de rondelles de métal pour le rendre plus lourd ; trois longues plumes sont implantées dans des trous percés dans les rondelles. C’est avec la semelle du brodequin qu’on renvoie le volant : il est très-rare que les joueurs manquent leur coup.

Enfants jouant au volant. — Dessin de Vaumort d’après une planche chinoise.

Le jeu, qui paralyse le travail, est une des causes permanentes du paupérisme : il en est une autre plus désastreuse encore, la débauche. Le vernis de décence et de retenue dont s’enveloppe la société chinoise cache la corruption la plus profonde. La moralité publique n’est qu’un masque jeté sur une perversité de mœurs qui dépasse tout ce qu’on a pu lire sur les anciens, tout ce qu’on sait des mœurs actuelles des Persans et Indous.

L’ivrognerie, telle qu’on l’entend en Europe, est le moindre de leurs vices. Le vin de raisin a été défendu, il y a des siècles, par des empereurs qui firent arracher les plants de vigne. Cette interdiction ayant cessé avec la dynastie mandchoue, on cultive le raisin pour la table, mais on ne fait usage que du vin de riz ou samchow. On en extrait, ainsi que du gros millet ou sorgho, une eau-de-vie aussi forte que la nôtre et qui produit une