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sont les ornements de la maison. Aussi faut-il voir avec quels soins ils sont sculptés, dorés et peints en couleurs éclatantes. (Voy. p. 71.)

La fête funéraire d’un enterrement est la plus grande occasion pour les Chinois de déployer leur luxe et de faire ostentation de leurs richesses. On a vu des familles se ruiner pour célébrer le décès d’un de leurs membres.

Instruments de musique chinois. — Dessin de Catenacci d’après une photographie.

Dès le matin, l’administration des pompes funèbres établit à la porte de la maison mortuaire une espèce d’arc de triomphe en nattes sous lequel des musiciens gagés exécutent des airs tristes et solennels. La salle d’entrée, drapée dans toute sa hauteur, reçoit les amis et les connaissances du défunt, dont le portrait est placé au-dessus des statues des dieux domestiques et de l’autel des ancêtres. Un repas somptueux est servi sur des tables dressées à l’avance, et tous les invités doivent par convenance s’y asseoir et manger, car c’est le mort, devant lequel sont placés ses mets favoris, qui est supposé vous recevoir et manger avec vous. On ne voit pas le cercueil : il est placé dans une chambre retirée. Bientôt le gong annonce le départ du cortége : en tête s’avancent les porte-bannières déployant des drapeaux et des cadres peints sur lesquels sont tracées des inscriptions louangeuses ; derrière eux la troupe des musiciens où dominent les instruments à vent, trompes, flûtes, cornes et surtout l’inévitable tam-tam, font entendre sans interruption des mélodies un peu monotones, mais d’un effet très-lugubre ; puis viennent des bonzes qui portent sur leurs dos des autels et les statues des divinités. Ces prêtres précèdent la bière entourée d’une immense catafalque et de draperies avec des glands de soie. Les dorures, les couleurs les plus gaies, les plus éclatantes et les plus bariolées ornent le char funèbre et les panneaux du catafalque décorés de dessins sur verre. Cette lourde machine n’est pas traînée par des mulets ; elle est conduite à bras comme un palanquin, et il faut au moins quarante hommes qui se relayent successivement pour le transporter. Une troupe de pleureuses, tête baissée et voilée, suivent le cercueil et accompagnent les musiciens de leurs cris nasillards ; enfin vient la famille cachée dans des chaises à porteur toutes drapées d’étoffes blanches. Il est de bon goût qu’aucun parent du défunt ne se laisse voir, à cause de la douleur où on suppose qu’il doit être plongé (voy. p. 77).

Tout se passe avec le plus grand silence : les Chinois qui aiment tant à tirer des pétards s’en abstiennent dans cette occasion.

Il ne faut pas croire qu’une pompe funèbre de ce genre soit celle d’un riche ou d’un mandarin ; un pauvre ouvrier se privera toute sa vie de manger à sa faim pour avoir un bel enterrement, et le mendiant qui sent la mort approcher ne trouve pas de meilleur moyen d’exciter la générosité que de dire qu’il n’a pas de quoi s’acheter un cercueil convenable.

Les enterrements des grands personnages se font avec une ostentation extraordinaire : on porte devant eux tous les objets qui leur ont servi pendant leur vie ; les meubles, les uniformes, les armes, les insignes des dignités ; plusieurs milliers de personnes accompagnent le cortége, mais on n’y voit jamais de soldats, même pour les mandarins militaires.

Il n’y a pas de cimetières publics à Pékin. Les cercueils très-grands et très-lourds sont recouverts d’un enduit qui les rend imperméables à l’air, et permet de les conserver longtemps sans inconvénient, même dans les maisons. Aussi les gens riches gardent-ils quelquefois le corps de ceux qu’ils ont aimés, dans une pièce réservée de leur habitation de ville. Mais il est généralement d’usage d’enterrer les morts dans la campagne au milieu d’un jardin qui appartient à la famille. Quant aux pauvres, qui n’ont pas un pouce de terrain à eux, leurs cercueils sont déposés dans un endroit isolé ou même jetés dans les fossés de Pékin. Lorsqu’on parcourt les environs des grandes villes, les yeux sont frappés de la quantité de tombeaux disséminés dans la campagne. Ce sont de petites éminences coniques en forme de pains de sucre, émaillées de gazon fleuri et entourées de saules pleureurs, de génevriers et d’arbres vers. Les cercueils posés à plat sur le sol qui n’a pas été creusé, sont recouverts d’un monticule de terre, mais les pluies d’orage suivies de grandes sécheresses lavant les terres, fondent l’enduit, font craquer le bois, et les cadavres pourrissent au grand air. C’est un spectacle affreux, auquel il faut si habituer en Chine. Le gouvernement ne prend aucun soin de faire