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une rare habileté : il ne faut pas trop s’affliger en les regardant ; s’il faut en croire un mandarin de la police, à l’heure où ils sont enfermés dans leurs bouges, les aveugles voient, les paralytiques marchent, les manchots retrouvent leur bras, les bossus perdent leur bosse, les lépreux reprennent leur teint naturel.

C’est le long des murailles de la ville chinoise que sont confinés les mendiants : ils habitent là de misérables huttes en torchis et des cabanes construites avec des matériaux de démolition ; leur quartier est séparé de la ville par des portes où veillent des soldats de police. Tous ceux qui sont trouvés la nuit dans Pékin reçoivent la bastonnade.

Il existe en dehors de la porte de Tchi-houa, dans les faubourgs de la ville tartare, un établissement philanthropique encore plus curieux. C’est la maison aux plumes de poule. Qu’on se figure deux vastes hangars en bois, construits avec des poutres non équarries et couverts de lattes cimentées avec de la boue. Le sol, soigneusement battu, est couvert d’une couche épaisse de plumes de volailles achetées par l’entrepreneur dans tous les marchés et les restaurants de Pékin. Aussitôt que le couvre-feu a sonné, les bandes de mendiants se précipitent dans cet asile, où, moyennant un sapèque qu’ils payent en entrant, ils reçoivent l’hospita1ité pour la nuit. Tout le monde étant rentré, le gardien abaisse, au moyen d’une mécanique, une grande pièce de feutre de la dimension de la salle : cette couverture publique reste suspendue à quelques pouces au-dessus de la tête des dormeurs qu’elle défend contre le vent, contre la froidure des hivers rigoureux et contre la pluie, qui passe facilement à travers les trous de la fragile toiture. La plume et la concentration de tous ces corps humains suffisent pour entretenir dans ces établissements une chaleur suffocante. Le soir, lorsque les soldats de police amènent dans ce taudis les mendiants retardataires, il faut avoir vu grouiller, se démener, se tordre cette cohue forcenée, pour comprendre ce que peut être la maison aux plumes de poule. Les rayons des lanternes venant à tomber dans ce trou profond sans horizon, où s’agitent, comme dans un boyau de mine, des centaines de créatures, on se croirait à l’entrée d’une bouche de l’enfer. C’est un entassement de bras, de jambes, de têtes. On y voit toutes les infirmités, tous les âges et tous les sexes, et quand les malheureux que les soldats y poussent à coups de fouet et de bâton y sont brusquement jetés, ils sont accueillis dans cette géhenne par un tonnerre de huées et de blasphèmes ! On dirait alors que tout va s’écrouler, et on se précipite vers la porte, heureux d’échapper à des odeurs insupportables, à la vue et aux clameurs de ce pandémonium humain : on se demande après si on n’a pas rêvé. (Voy. p. 73.)

Les incendies sont excessivement communs dans le nord de la Chine ; la mauvaise disposition des cheminées et des kang, dont les briques ne sont pas assez épaisses et communiquent, en rougissant, le feu aux poutres sur lesquelles elles s’appuient, l’usage si habituel des pétards et des pièces d’artifice qu’on tire sans précaution jusque dans les maisons, enfin et surtout les matériaux inflammables des habitations chinoises, construites entièrement en bois verni, avec des châssis en papier, explique suffisamment la fréquence des sinistres.

Il ne se passe presque pas de nuit à Pékin qu’on n’entende le cliquetis précipité des crécelles et les cris des veilleurs de nuit qui annoncent le feu, tandis qu’au loin résonnent sourdement les tambours et les gongs du guet. Les mugissements entrecoupés de ces gigantesques bassins de cuivre sont d’un effet encore plus sinistre que le tocsin.

Dès qu’un incendie est signalé, on voit sortir de chacun des quartiers de la ville les brigades de pompiers courant au pas gymnastique. Les pompes, aspirantes et refoulantes, très-lourdes et d’une grande force, sont placées sur des traverses en bambou que tiennent dix ou douze porteurs. Les points d’appui et d’équilibre sont si bien observés dans ces transports à bras, que la rapidité extrême de la marche n’en est pas retardée.

Les porteurs sont précédés et suivis du reste de la brigade, armée de haches, d’outils de démolition et de lanternes. Chaque quartier de la ville a sa brigade de pompiers et sa pompe : ces pompiers, qui n’ont pas d’uniformes, composent une milice spéciale et sont tenus, sous peine de châtiments sévères, d’accourir au premier signal. Quant aux pompes qui paraissent être une imitation des nôtres, elles ont la forme de dragons ou de serpents marins et on leur en donne le nom.

Les soldats de police éloignent les voleurs, trop disposés à profiter du désordre, font la chaîne, remplissent, d’eau les cuves où s’alimentent les pompes, et montent la garde autour des objets mobiliers qu’on enlève aux flammes ; les pompiers arrachent les poutres de bambou, enfoncent les portes, montent sur les toits pour jeter de l’eau, et font la part du feu avec une libéralité qui fait le désespoir des propriétaires, dont on démolit les habitations, souvent éloignées de plus de cent mètres du foyer de l’incendie. En somme, l’organisation générale est bonne, mais elle manque de direction et d’unité ; les chefs ne savent ni commander, ni se faire obéir[1].

Une chose étonnante, c’est la rapidité avec laquelle on reconstruit les maisons détruites. Il est vrai que les matériaux ne sont ni onéreux, ni difficiles à transporter.


Organisation patriarcale de la famille. — Respect pour les vieillards. — Le culte des ancêtres. — La fête des morts. — Rigueur du deuil impérial. Passion des Chinois pour les cercueils. — Cérémonie des funérailles. — Les cimetières. — Condition servile des femmes. — La polygamie. — Les veuves ne doivent pas se remarier. — Les fiançailles. — Fête du mariage. — La dame, — la jeune fille, — les petits pieds. — Ornements et objets de toilette, etc.

Nous avons dit comment les législateurs chinois avaient appuyé l’autorité de l’empereur sur le respect patriarcal si puissant en Chine. La vénération pour la vieillesse est aussi une loi de l’État. On rencontre souvent dans

  1. Au moment de mettre sous presse, nous lisons dans les Annales de la Propagation de la foi, que le beau monument de Pé-thang, dont nous avons donné la description, page 41 de ce volume a été en grande partie détruit par les flammes, le 9 janvier 1864.