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diants forment une immense association qui a des règles fixes. Ils ont un roi nommé à l’élection, un trésorier chargé du partage des aumônes et des vivres. La part de mise dans l’association se compose d’infirmités ou de maladies plus ou moins hideuses. Quand des désordres ou des vols ont lieu dans la ville, le préfet s’en prend au roi des mendiants, qui est responsable de ses sujets. Pékin tout entier a l’air d’une immense cour des Miracles, et dans les premiers temps qu’on y séjourne, la vue de toutes ces misères, de toutes ces plaies vraies ou simulées, cause un profond dégoût : peu à peu cependant on s’y habitue, et on arrive à jeter dédaigneusement, comme les riches Chinois, quelques sapèques à la volée au milieu des troupes de gueux, sans être autrement affecté de leurs souffrances.

Scène d’incendie en Chine. — Dessin de Janet Lange d’après un croquis de M. Trèves.

On trouve dans les mendiants chinois une variété de types, un chaos de guenilles, un ensemble de physionomies repoussantes et grotesques que Callot lui-même aurait été impuissant à reproduire : ici c’est un nain haut de deux pieds, gras et luisant, qui passe, tenant par la main un géant décharné et tellement maigre qu’on peut compter les os de son échine ; ces deux personnages, sont couverts d’étoffes grossières en feutre de poils de chameau dans lesquelles ils se sont taillé des robes et un capuchon ; on dirait des malades d’hôpital. Ce feutre est si plein de trous, si imprégné d’ordures, que le Mongol, à qui il servait de couverture de cheval, l’a cédé à quelque revendeur parce qu’il le trouvait trop sale ; c’est tout dire. Le géant s’arrête, ouvre une bouche large comme un four, et, pour montrer qu’il a faim, mange l’herbe des rues et fouille avidement dans les tas d’immondices, tandis que le nain, afin d’attirer les sapèques, danse avec des postures grotesques et en poussant des rires stridents. Plus loin, c’est un faux épileptique qu’il se roule dans la poussière en faisant des contorsions impossibles. Puis des bandes d’aveugles qui s’avancent en file en barrant la rue et sous la conduite d’un borgne ; ces aveugles ont la spécialité d’être tous plus ou moins musiciens, et se livrent impunément au charivari le plus odieux. Beaucoup de mendiants stationnent dans les endroits populeux de la ville presque entièrement nus, à l’exception d’un caleçon en guenille ; personne ne s’en formalise. Pour attirer l’attention, ils se frappent à tour de bras sur le bas des reins, et si ces claques sonores n’attirent pas l’aumône du passant, ils le poursuivent d’imprécations. Ces pauvres trop peu vêtus, qui laissent croître leurs barbes et leurs cheveux, forment sans doute une des tribus de l’association, car plusieurs fois Mme de Bourboulon leur fit distribuer des vêtements, et le lendemain ils reparaissaient dans le même costume, ou même un peu moins habillés.

Les mendiants chinois simulent les infirmités avec