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des neufs portes. Il a sous ses ordres plusieurs brigades de soldats de police et des ti-pao, veilleurs de nuit chargés individuellement de la surveillance d’un certain nombre de maisons. Les soldats de police, distribués par escouades dans de nombreux corps de garde, font des patrouilles toute la nuit et maintiennent le bon ordre dans la journée. Ils portent un double sabre, une pique, et un fouet dont ils ne ménagent pas l’usage. Les ti-pao veillent chacun dans leur quartier, où ils signalent leur présence aux commandants des patrouilles en agitant la crécelle qu’ils portent à leur ceinture. Comme ils sont responsables des vols, incendies on accidents qui ont lieu dans leur circonscription, toute négligence de leur part est sévèrement punie. Pendant une fête donnée par le consul de France à Tien-tsin, on vola les ifs qui illuminaient la porte d’honneur. Le ti-pao fut mandé et reçut l’ordre d’avoir à livrer les voleurs dans le délai de trois jours, sous peine de recevoir lui-même la bastonnade ; au temps voulu, ce pauvre homme, qui n’avait pu mettre la main sur les coupables, apporta sur son dos au consulat deux ifs tout neufs qu’il avait fait faire à ses frais, et dont la peinture noire n’était pas encore sèche. On conçoit que les conséquences d’une responsabilité poussée aussi loin sont de nature à redoubler le zèle des veilleurs de nuit.

Supplice du dépècement. — Dessin de Janet Lange d’après une peinture chinoise du temps des Mings.

Les portes de Pékin sont fermées tous les soirs au couvre-feu : il est difficile alors de circuler dans les rues de la ville ; la police, qui proscrit toutes les réunions nocturnes, a le droit de vous demander où vous allez, et de vous arrêter si vous n’avez pas une bonne raison à donner. D’ailleurs, les barrières à claire-voie qui isolent chaque quartier étant closes, les ti-pao qui les gardent ne les ouvrent, comme nous l’avons dit, qu’à prix d’argent. « La nuit est faite pour dormir. » Cet axiome des philosophes chinois est rigoureusement appliqué dans l’ordre administratif. Aussi les mandarins, comme les plus infimes artisans, se lèvent-ils à la pointe du jour.

Le service de la voirie laisse beaucoup à désirer à Pékin : les rues sont pleines d’immondices, et le moindre vent y soulève des nuages de poussière. Il n’y a pas de balayeurs, ni d’arrosage public ; mais les particuliers sont tenus, sous peine de bastonnade, d’arroser le devant de leurs portes.

Deux choses sont excessivement incommodes dans la capitale de la Chine : les mendiants et les incendies.

Au matin la ville est envahie en quelques minutes par des bandes d’aveugles, de manchots, de boiteux, de pieds bots, de paralytiques, de lépreux, d’épileptiques, qui, s’échappant avec le premier rayon de soleil des masures où la police les confine pendant la nuit, se répandent dans les plus beaux quartiers, aux portes mêmes des palais dont ils assourdissent les maîtres par l’importunité de leurs prières et la vivacité de leurs récriminations. Loin d’être interdite, la mendicité est protégée par l’État : les men-