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était revenue au Nil dès que les pluies moins violentes avaient permis de se remettre en route, et le courageux voyageur avait regagné Khartoum. La moisson scientifique ne laisse pas d’avoir été abondante. L’histoire naturelle a fourni une riche moisson d’observations toutes nouvelles ; et la géographie aura gagné à cette excursion des rectifications importantes, de nombreuses additions, et des déterminations qui paraissent devoir modifier notablement le tracé des cartes actuelles. Ce sont d’heureuses conquêtes ; mais à quel prix elles sont achetées !


V

Reportons-nous, avant de finir, vers l’autre extrémité du continent, aux lieux où le Soudan confine au Sénégal, où le Sahara se rapproche de l’Atlantique. Là aussi des entreprises se poursuivent, qui, sans avoir actuellement le caractère de découvertes au même degré que les explorations du haut bassin du Nil, n’en ont pas moins un grand et sérieux intérêt au triple point de vue de l’avenir politique, du développement commercial et du progrès de nos connaissances géographiques. Il suffit de jeter les yeux sur la carte pour comprendre de quelle importance il serait de relier nos deux grandes possessions du Sénégal et de l’Algérie, non par des conquêtes et des occupations de territoires, mais par une chaîne de rapports réguliers avec les populations intermédiaires. Comme toujours, c’est aux voyageurs, intelligents et hardis pionniers, à frayer la voie.

Déjà plus d’une tentative a été faite, et il y en a deux en ce moment qui donneront peut-être de meilleurs résultats. De ces deux tentatives, l’une part de l’Algérie, l’autre du Sénégal.

La première a pour auteur un jeune Allemand, M. Gérard Rohlf, qui déjà, il y a deux ans, a effectué, déguisé en musulman, la traversée du Sahara marocain que nul Européen n’avait faite avant lui. M. Rohlf réussira-t-il à gagner Timbouktou et le Sénégal en traversant les grandes oasis du Touât, et qu’en rapportera-t-il ? c’est ce qu’on ne saurait dire encore. La seconde tentative, celle du Sénégal, est, nous le croyons, de nature à donner des fruits plus sérieux. Conçue et ordonnée par le général Faidherbe, l’énergique gouverneur de notre colonie sénégalaise, elle a été confiée à deux de nos officiers de marine, M. Mage et M. Quentin. M. Mage, a déjà fait ses preuves dans une mission analogue. Les deux officiers, remontant le Sénégal, ont dû relever plusieurs parties imparfaitement connues du haut bassin du fleuve ; et franchissant de là, sur les traces de Mungo-Park, le haut pays qui sépare le Sénégal du Dhioli-bâ, ils essayeront de descendre ce dernier fleuve, qui conduit à Timbouktou en passant à Ségou, afin de jeter les bases de futurs rapports d’amitié entre notre colonie du Sénégal et le cheikh Sidi-Ahmed el-Bakaï. C’est du moins ce que l’on peut présumer des instructions des voyageurs d’après de ce que l’on connaît de leur itinéraire. Leurs dernières lettres, datées du 23 avril 1864, les laissent à Ségou, ou ils étaient depuis le 28 février.

Les journaux du Sénégal ont annoncé qu’une indigènes caravane de voyageurs, composée de Sidi-Mohammed, neveu du cheikh Ahmed el-Bakaï, de Timbouctou et de plusieurs chefs kountahs, ses parents, était arrivée du Tagant à Saint-Louis au mois de mai dernier.

Une communication particulière, adressée de Saint-Louis au Tour du monde, nous met à même de placer sous les yeux de nos lecteurs le portrait du jeune Sidi Mohammed, et en même temps de consigner ici quelques détails sur cette famille des Bakaï à laquelle le docteur Barth a fait une renommée européenne. Les Kountahs, tribu puissante des oasis du Sahara occidental à laquelle appartiennent les Bakaï, se donnent pour ancêtres les Beni Oumeyata, tribu khoreichite à laquelle appartenait le Khalife Moawiah. Ils se rattacheraient ainsi à Sidi-Okba, le conquérant arabe de l’Afrique.

Un marabout fameux dans le Sahara, el-Kountah el-Mokhtar, fut appelé, en 1826, de l’oasis d’el Mabrouk à Timbouktou par les négociants maures (la plupart originaires de Ghadamès) qui résident dans cette ville, pour les aider de son immense influence religieuse contre les violences des Foullâns ou Peuls du Macina.

À Timbouktou, el-Mokhtar devint bientôt tout-puissant, et l’on raconte sérieusement de lui une foule de faits merveilleux.

Son fils Mohammed El-Khalifa lui succéda, et après celui-ci son petit fils Ahmed-el-Bakaï, le généreux protecteur du docteur Barth. Mohammed, son neveu, étant venu du Tagant rendre visite au gouverneur du Sénégal, on voulut profiter de cette circonstance heureuse pour essayer de lier des rapports directs, appuyés par cet utile intermédiaire, avec Ahmed-el-Bakaï. Une seconde expédition fut organisée, dont un de nos officiers devait faire partie. Nous apprenons qu’elle a été décommandée.

Il est bon de rappeler qu’Ahmed-el-Bakaï soutient aujourd’hui, à la tête des Touareg, des Maures sahariens et d’une partie des Foullâns du Macina, une formidable lutte contre notre ancien ennemi el-Hadj Omar, qui cherche à fonder un vaste empire noir musulman sur le haut Niger[1].

Vivien de Saint-Martin.


FIN DU DIXIÈME VOLUME.
  1. Les dernières nouvelles venues de Saint-Louis confirment la mort d’el-Hadji, déjà annoncée plusieurs fois dans le courant de l’année.