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REVUE GÉOGRAPHIQUE,


1864
(DEUXIÈME SEMESTRE.)
PAR M. VIVIEN DE SAINT-MARTIN.
TEXTE INÉDIT.




Un temps d’arrêt dans les grandes explorations. — Les trois grandes publications récentes : Speke, Henri Duveyrier, l’expédition allemande à la recherche de Vogel. Résultats astronomiques et scientifiques de la mission, publiés par MM. Petermann et Hassenstein. — M. Munzinger ; le docteur Hartmann. Importance et richesse de leurs récentes relations de la haute Nubie. Immenses acquisitions géographiques et ethnologiques. — L’expédition des dames Tinné et de M. de Heuglin à l’ouest du fleuve Blanc. Projets, organisation, perspectives, travaux, double catastrophe. De quel prix se payent les conquêtes géographiques. — Tentatives de communications entre le Sénégal et l’Algérie par Timbouktou. Gerhard Rohif. Le lieutenant Mage.


I

Il y a en ce moment comme un temps d’arrêt dans les grandes explorations. Après les mémorables voyages que le monde a vu s’accomplir dans ces dernières années ; après la traversée de la zone équatoriale de l’Afrique par le capitaine Speke[1], et sa reconnaissance si heureusement accomplie de la région jusqu’alors impénétrable où se cachent encore les sources du Nil ; après les longues courses et les intrépides investigations de Barth dans les immenses contrées du Soudan, de Livingstone dans l’Afrique du Sud, du baron de Decken aux montagnes neigeuses de l’Afrique orientale, de M. de Heuglin et de ses compagnons dans les contrées du Nil et de la haute Nubie ; après les fructueuses études de Henri Duveyrier dans les plaines ardentes du Sahara, et, sur d’autres points du globe, la périlleuse traversée de l’Australie par Mac Douall Stuart, et l’indomptable énergie d’un Mac Clure ou d’un Mac Clintock à travers les rudes épreuves de la région polaire ; — après ce paroxysme d’ardeur scientifique, qui, durant près de quinze ans, sous tous les climats du globe, a tenu haletante l’attention de l’Europe attachée aux pas de cette phalange de valeureux champions, notre gloire et notre orgueil, un intervalle de repos — de repos relatif, au moins — s’est produit à la fois sur tous les théâtres de ces explorations naguère si actives. C’est un intervalle d’étude rétrospective. La science récapitule les conquêtes nombreuses dont elle s’est enrichie ; les voyageurs publient le récit de leurs courses et les résultats de leurs périlleuses investigations, en même temps qu’ils recueillent leurs forces pour de nouvelles entreprises.


II

Parmi ces publications, trois au moins répondent à une vive et légitime impatience : la relation du capitaine Speke, celle de notre compatriote Henri Duveyrier, et enfin l’exposé des résultats scientifiques de l’expédition envoyée, il y a quatre ans, sous la conduite de M. de Heuglin, à la recherche de Vogel dans le Soudan oriental. L’Angleterre, la France et l’Allemagne se trouvent ici en présence, non pour une lutte d’intérêts hostiles, mais dans une généreuse et féconde émulation.

Notre précédente Revue a pu faire connaître déjà le livre du capitaine Speke et celui de M. Henri Duveyrier, publiés dans les premiers mois de cette année ; nous avons à mentionner aujourd’hui la récente publication relative à l’expédition germanique.

Il suffira de rappeler en quelques mots à quelle occasion et dans quel but la mission allemande fut organisée. Dans le cours de l’expédition du docteur Barth au Soudan, après que la mort eut moissonné autour de lui ses premiers compagnons, James Richardson et Overweg, un nouvel auxiliaire, Édouard Vogel, fut envoyé d’Angleterre au voyageur survivant. Comme Overweg et Barth, Vogel était Allemand ; car c’est une particularité assez remarquable de cette grande expédition africaine de 1849, que bien qu’elle eût été suscitée et qu’elle fût défrayée par l’Angleterre, tous ceux qui l’ont composée, à l’exception de Richardson, son premier chef nominal, avaient l’Allemagne pour patrie. Vogel, quoique fort jeune encore, avait déjà fait ses preuves comme naturaliste et comme astronome ; et bien que sa carrière ait été malheureusement tranchée avant l’heure, ce n’en est pas moins à lui que sont dus quelques-uns des plus importants résultats de l’expédition. Un des objets favoris qu’il s’y était proposé avait été de pénétrer dans les parties encore inexplorées du Soudan oriental, entre le lac Tchad et le haut Nil, et notamment de voir le pays de Ouadây, où nul Européen n’avait jamais pénétré. Il partit du Bornou au commencement de 1856 pour cette fatale excursion, d’où il ne devait pas revenir. Un silence de plusieurs années, sillonné çà et là de rumeurs sinistres, ne faisait que trop prévoir le sort de l’explorateur. Son souvenir, cependant, était toujours présent en Europe. Quelques hommes éminents, parmi ses compatriotes, conçurent la pensée d’une expédition nouvelle

  1. Mort, au mois de septembre 1864, en Angleterre, dans une partie de chasse.