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des Lions, le bas-relief de l’Alcazaba, et les curieuses peintures que nous verrons tout à l’heure dans la salle du Jugement.

Nous ajouterons ici une observation : c’est que les azulejos sont toujours en faïence, et non pas en porcelaine, comme on l’a imprimé si souvent ; il faut en dire autant du beau vase de l’Alhambra, qu’on présente aussi quelquefois comme une porcelaine, bien qu’il soit antérieur de plusieurs siècles à la fabrication de ce genre de poterie en Europe.

Les inscriptions de la salle des Ambassadeurs sont nombreuses ; nous n’en citerons que quelques-unes :

« Gloire à notre sultan, le roi guerrier Abou-l-hadjadj, — que Dieu rende victorieux ! »

On lit encore, au-dessus d’un son bassement en azulejos, dans le cabinet ou alcoba qui fait face à la porte d’entrée :

« Ici tu es accueilli matin et soir par des paroles de bénédiction, de paix et de prospérité.

« Voici le dôme élevé et nous sommes ses filles (ceci fait allusion aux alcobas, qui forment dans la salle comme autant de pièces plus petites).

« Pourtant, je possède une excellence et une dignité au-dessus de toutes celles de ma race. »

La salle des Ambassadeurs était, comme l’indique son nom, la pièce d’honneur du palais, celle où avaient lieu les réceptions solennelles ; c’est là que les rois de Grenade recevaient les envoyés des princes africains, porteurs quelquefois de présents perfides, témoin la tunique empoisonnée, offerte par Ahmed, roi de Fez, à Yousouf II, qui mourut, dit-on, peu de temps après l’avoir portée ; c’est là que le sultan Aboul-Hasen faisait, à l’époque de la splendeur de Grenade, cette fière réponse à l’envoyé du roi de Castille, qui exigeait un tribut en argent : « Allez dire à votre maître que dans mon hôtel des Monnaies, on ne frappe pour lui que des fers de lance ! »

Plus d’une fois aussi, ces murs si élégants furent témoins de drames sanglants : Mohammed-Ibn-Ismael ayant, dans une cérémonie publique, essuyé une insulte de son souverain, qui lui reprochait de s’être conduit lâchement dans une attaque contre les chrétiens, jura de s’en venger, et le frappa d’un coup de poignard dans cette salle, ainsi que son grand-vizir.

C’est encore dans la salle des Ambassadeurs que Boabdil, le dernier roi de Grenade, reçut la nouvelle de la mort de trente cavaliers zégris, massacrés dans la Vega par les Abencerrages, qui avaient embrassé le christianisme, et étaient devenus les vassaux du roi Ferdinand ; scène que rapporte ainsi un romance morisco :

« Devant le roi Chico, de Grenade, sont arrivés des messagers entrés par la puerta de Elvira, qui se sont rendus à l’Alhambra. Celui qui est arrivé le premier est un Zégri de renom, coiffé en signe de deuil d’un capuchon noir ; après avoir mis les genoux à terre, il s’est exprimé ainsi : « Je t’apporte, seigneur, les nouvelles les plus douloureuses : sur les fraîches rives du Xenil s’étend une nombreuse armée ; elle y a déployé ses enseignes de guerre, un étendard doré sur lequel est brodée une magnifique croix plus brillante que l’argent. Et le général de ces troupes s’appelle le roi Ferdinand : tous ont fait le serment de ne pas quitter la Vega avant de s’être rendus maîtres de Grenade. Et cette armée est aussi commandée par une reine très-aimée des soldats, appelée doña Isabel, reine de haute noblesse et de grand renom. Tu me vois ici blessé dans un combat qui vient d’avoir lieu dans la Vega entre les chrétiens et les Mores : trente Zégris sont restés sur le terrain, passés au fil de l’épée ; les Abencerrages chrétiens, accompagnés d’autres chevaliers de la même religion, ont montré un courage incroyable, et ont fait ce massacre des gens de Grenade.

« Pardonnez-moi, pour Dieu, ô roi ! Affaibli par la perte de mon sang, je sens que la voix me manque.

« En disant ces mots, le Zégri s’évanouit, et le roi en fut tellement attristé qu’il ne put prononcer une parole. »

Si la salle des Ambassadeurs fut le théâtre de ces événements dramatiques, quelquefois aussi des scènes charmantes venaient l’égayer : c’était la belle Galiana qui, assise dans le cuarto del Comarès (autre nom qu’on donnait à cette salle), achevait, de ses doigts délicats, une riche broderie d’or et d’argent, émaillée de perles, de rubis et d’émeraudes ; merveille destinée au vaillant More qui rompait en sa faveur des lances dans les tournois : « le More vit content d’une pareille faveur de la dame qui règne sur son cœur, et qu’il adore de toute son âme ; si le More l’aime beaucoup, la dame le chérit plus tendrement encore, car il n’y a pas de plus vaillant chevalier dans tout le royaume de Grenade. »


En el cuarto de Comarès
La Hermosa Galiana,
Con estudio y gran destreza,
Labrava una rica manga
Para el fuerte Sarrazino
Que por ella juega cañas ;
De aljofar y perlas finas
La manga yva esmaltada.
Con muchos recamos de oro
Y lazos finos de plata ;
De esmeraldas y rubies
Por todas partes sembrada.
Contento vive el Moro
Ton el favor de tal dama
La tiene en el Corazon
Y la adora con su alma :
Si el Moro mucho la quiere
Ella mucho mas le ama,
Y no le hay mas esfuerço
En el reyno de Granada.


La salle des Ambassadeurs reçoit le jour sur chacun de ses côtés par trois fenêtres surmontées d’un double cintre ; l’épaisseur des murs de la tour est telle, que ces embrasures forment comme autant d’alcôves de près de dix pieds de profondeur. De la fenêtre qui fait face à la porte d’entrée la vue est splendide : on domine, à vol