Page:Le Tour du monde - 10.djvu/367

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

milieu desquelles se jouent les arabesques les plus capricieuses. Une bande d’inscriptions du même genre règne horizontalement autour de la panse, qu’elle sépare en deux : dans la partie supérieure, sont placées en face l’une de l’autre deux grandes antilopes, animaux fantastiques à la tournure naïve, comme se plaisaient à les représenter les artistes musulmans, et qui rappellent la décoration des bronzes damasquinés et des verres émaillés qui se fabriquaient au moyen âge à Damas. Dans la partie inférieure est inscrit un ovale couvert de grandes arabesques, très-franchement dessinées et du plus beau style. L’émail du fond est d’un blanc jaunâtre, sur lequel ressortent admirablement en bleu les lettres et les ornements rehaussés d’un reflet d’or pâle, trois couleurs qui forment l’ensemble le plus harmonieux. D’après un écrivain arabe du quatorzième siècle, la ville de Malaga était particulièrement renommée pour la fabrication de ces belles faïences à reflets métalliques.

Le premier auteur qui ait parlé des vases de l’Alhambra est, je crois, le P. Echeverria, dans ses Paseos por Granada ou Promenades dans Grenade, espèce de guide dans la forme naïve de dialogues par demandes et par réponses, entre un Grenadin et un étranger, où il nous apprend l’histoire des fameuses Jarras, comme il les appelle.

L’ÉTRANGER. — Parlons de ces vases, qui, me disiez vous, contenaient un trésor : où se trouvent-ils maintenant ?

LE GRENADIN. — Aux Adarves, dans un petit jardin délicieux, qui fut mis en état et orné par le marquis de Mondéjàr, avec l’or provenant de ce trésor. Peut-être eut-il l’intention de perpétuer le souvenir de cette découverte en plaçant dans le jardin ces vases, qui sont des pièces très-remarquables ; rendons-nous à ce jardin et vous allez les voir.

L’ÉTRANGER. — Quel merveilleux jardin ! quelle admirable vue ! mais voyons les vases. Quel malheur ! comme ils sont endommagés ! Et ce qu’il y a de plus regrettable c’est que, laissés à l’abandon, comme ils le sont, ils se dégraderont chaque jour davantage.

LE GRENADIN. — Ils finiront même par être entièrement détruits : déjà il ne reste plus que les deux que vous voyez et ces trois ou quatre morceaux du troisième. Chaque personne, en sortant d’ici, veut en emporter un souvenir, et c’est ainsi que les pauvres vases sont détruits petit à petit.

L’ÉTRANGER. — Mais sur ces deux-ci, parmi les belles arabesques dont leur magnifique émail est orné, j’aperçois des inscriptions…

LE GRENADIN. — C’est vrai ; mais vous voyez que, dans l’état de dégradation où sont ces vases, il n’est plus guère possible de les lire, leur émail étant usé ou enlevé. Sur ce premier vase, on ne peut guère distinguer que le nom de Dieu, deux fois répété : aucun des deux ne porte une autre inscription entièrement lisible…

Le P. Echeverria a exagéré quelque peu l’état de dégradation du vase qui reste ; mais sa prédiction ne s’est malheureusement que trop justifiée. Quant à l’autre, autant qu’on peut en juger par les reproductions qui ont été faites il y a plus de cinquante ans, il était de même forme et de même dimension que celui qui subsiste ; seulement, au lieu des deux antilopes affrontées, on voyait sur la panse trois cercles contenant chacun un écusson avec la devise si connue des rois de Grenade : « Il n’y a pas d’autre vainqueur que Dieu. »

On ne sait ce qu’est devenu le second vase de l’Alhambra.

Un voyageur anglais nous apprend que, vers 1820, le gouverneur Montilla s’en servait pour mettre ses fleurs, et il ajoute qu’il l’offrit un jour à une dame française, qui l’emporta.

D’après une autre version, il aurait été emporté par une dame anglaise. Ce qui est malheureusement certain, c’est qu’il n’en reste plus qu’un seul, qui a été conservé par miracle ; car il y a peu de temps encore on en faisait peu de cas. C’est ce que nous apprend M. Théophile Gautier, qui décrit « la pièce où, parmi des débris de toute sorte, est relégué, il faut le dire à la honte des Grenadins, le magnifique vase de l’Alhambra, haut de près de quatre pieds, tout couvert d’ornements et d’inscriptions, monument d’une rareté inestimable, qui ferait à lui seul la gloire d’un musée, et que l’incurie espagnole laisse se dégrader dans un recoin ignoble. »

Le chef-d’œuvre de la céramique hispano-moresque est aujourd’hui placé dans un lieu plus digne de son mérite ; il est exposé sous la galerie de la Cour des Myrtes, où les visiteurs peuvent l’admirer en entrant à l’Alhambra.

Ch. Davillier.

(La suite à la prochaine livraison.)

    nous en donnons, Gustave Doré a restitué celle qui manque, afin de rendre au vase son aspect primitif.

    On trouvera d’autres détails sur ce vase et sur la céramique espagnole dans notre Histoire des faïences hispano-moresques, etc. Paris, 1861, Didron.

    Le vase de l’Alhamhra a été reproduit très-fidèlement et presque de grandeur naturelle par MM. Deck frères, d’après les dessins et calques pris par nous sur l’original ; ces habiles céramistes ont envoyé à la dernière exposition de Londres cette reproduction, qui leur a valu la grande médaille d’or.

    Comme les dimensions du vase ont été publiées par différents auteurs avec des différences notables, nous les avons relevées avec le plus grand soin, et nous les donnons ici : hauteur totale : 1m, 36 ; circonférence, 2m, 25 ; — plus grande longueur de l’anse, 0m, 61 ; — hauteur des antilopes, 0m, 26 ; — hauteur des lettres, 0m, 094 à 0m, 055.