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tenaient encore à Az-zaghal, et celui-ci, à bout de ressources, fut obligé de se reconnaître comme son vassal.

Le royaume de Grenade se trouvait donc réduit à la capitale même, et à la contrée montagneuse qu’on appelle l’Alpujarra ou les Alpujarras ; les rois catholiques ne tardèrent pas à trouver une occasion de reprendre les hostilités : le roi more s’était engagé à recevoir dans Grenade une garnison de soldats espagnols, mais il s’y refusa, et la guerre recommença aussitôt.

Au mois d’avril 1491, Ferdinand et Isabelle vinrent en personne mettre le siége devant Grenade, dont les défenseurs, réduits par la famine, ouvraient, moins d’un an après, leurs portes aux chrétiens vainqueurs.


La Calle de los Gomélès. — La Puerta de las Granadas. — Le Bosque de la Alhambra. — Le Pilar de Carlos Quinto. — La Puerta Judiciaria ; la Main et la Clef. — La Plaza de les Algibes. — La Puerta del Vino. — Le palais de Charles-Qulnt. — Les vases de l’Alhambra.

Nous étions tellement impatients de voir l’Alhambra que nous résolûmes de consacrer notre première visite à l’antique acropole des rois mores, nous laissant à peine arrêter par les beautés d’un genre différent qui se trouvaient sur notre route : nous laissâmes donc de côté la place de Bibarrambla, la majestueuse cathédrale, l’Alcayzeria et le Zacatin, ces vieux quartiers de Grenade, qui ont conservé leur nom et leur aspect moresques, et nous arrivâmes à la Plaza Nueva, sous laquelle coule dans l’ombre le poétique Darro, recouvert d’une épaisse voûte de maçonnerie. Sur la gauche s’élève une ancienne tour carrée de construction moresque, qui conserve encore ses ornements et de beaux carreaux de faïence incrustés ; un peu plus loin s’élève le vaste palais de Chancillleria ou Audiencia, dont la belle façade, d’un style sévère, fut achevée sous le règne de Philippe II, comme nous l’apprit une pompeuse inscription gravée sur un écusson que tient un lion placé au-dessus de la porte principale.

Après avoir traversé la Plaza Nueva, nous commençâmes à gravir la calle de los Gomérès ou Gomélès, rue escarpée et sinueuse qui doit son nom, suivant la tradition, à une famille noble d’origine africaine, laquelle habitait ces parages, au pied de la haute colline sur laquelle est construit l’Alhambra.

Au sommet de la rue de los Gomélès, on arrive à une des extrémités de Grenade, et on se trouve en face de la puerta de las Granadas, que les Mores appelaient Bib-Leuxar : c’est une espèce d’arc de triomphe construit sous Charles-Quint, et qui fait corps de chaque côté avec les anciennes murailles moresques ; l’arc principal, en plein cintre, qui s’ouvre au milieu du monument, est flanqué de deux fausses portes avec colonnes et corniches d’ordre toscan, et de deux bas-reliefs rongés par le temps, qui ont dû représenter la Paix et l’Abondance, sous la forme de deux Génies couchés, imitation de l’antigue. L’arc du milieu est couronné de trois grenades, symbole parlant, et dans le tympan s’étale fièrement l’écusson de Charles-Quint, accompagné de l’aigle impérial ; une inscription, gravée sur la pierre, nous avertit que c’est là que commence la Jurisdiccion de la Real fortaleza de la Alhambra, qui est tout à fait indépendante de celle de Grenade.

Rien ne saurait rendre l’impression qu’éprouve celui qui traverse pour la première fois la « porte des Grenades : » on se croit transporté dans un pays enchanté, en pénétrant sous ces immenses arceaux de verdure formés par des ormes séculaires, et on pense à la description du poëte arabe, qui les comparaît à des voûtes d’émeraude. C’est la plus majestueuse décoration qu’il soit possible de rêver, et si les yeux sont émerveillés, l’oreille n’est pas moins charmée par le chant des oiseaux, et par le bruit des cascades et des fontaines ; l’eau limpide des ruisseaux entretient une fraîcheur continuelle dans cet Éden ou le printemps dure toujours, et auquel les Grenadins ont donné le nom beaucoup trop modeste de Bosque de la Alhambra.

Trois allées s’ouvrent devant nous : celle de droite conduit aux fameuses Torres Bermejas, aux Tours Vermeilles, que nous visiterons plus tard, et vient aboutir au Campo de los Mártires ; celle du milieu conduit presque sans détours au Généralife, et enfin celle de gauche, que nous allons suivre, nous mènera, à travers une suite d’enchantements, à l’entrée principale de l’enceinte de l’Alhambra. La route est abrupte, mais la végétation qui s’élève de chaque côté est si magnifique, l’air si pur et si frais sous ce jardin de haute futaie, que l’on monte sans s’apercevoir de la fatigue ; de petites rigoles, dans lesquelles l’eau descend avec bruit sur un lit de cailloux, entretiennent l’humidité au pied des grands arbres, sous lesquels s’élèvent, comme chez nous la charmille, des orangers, des lauriers-roses gigantesques (adelfas), et autres arbustes inconnus dans nos climats. De toutes parts on voit et on entend les sources et les fontaines s’échapper avec bruit à travers les ruines et la verdure ; cette bienheureuse Grenade est tellement privilégiée du ciel, que les eaux deviennent plus abondantes à mesure que la chaleur est plus intense, car elles descendent des cimes toujours blanches de la Sierra-Nevada, dont le soleil le plus ardent ne parvient jamais à épuiser les neiges éternelles.

Nous arrivâmes bientôt, en montant toujours, devant une fontaine monumentale dans le style gréco-romain de la Renaissance, qui s’élevait sur notre gauche, au pied des murs rougeâtres de l’Alhambra, et qu’on appelle el Pilar de Carlos Quinto parce qu’elle fut dédiée à cet empereur par le marquis de Mondéjar. Ce monument épais et solide est composé de marbres de différentes couleurs et orné de sculptures représentant des Génies, des Dauphins, des Fleuves, et autres personnages mythologiques ; nous y remarquâmes aussi, à côté des armes de la maison de Mondéjar, des rameaux de grenadier avec leur fruit : les Espagnols étaient si heureux de posséder Grenade qu’ils ornaient tous leurs monuments du symbole de la nouvelle conquête. L’écusson impérial est accompagné des colonnes d’Hercule, avec l’ambitieuse de-