Page:Le Tour du monde - 10.djvu/358

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Son fils lui succéda sous le nom de Mohammed II, et devint tellement redoutable pour les princes chrétiens, ses voisins, que ceux-ci lui payaient annuellement un tribut pour éviter ses attaques. Les guerres civiles redoublèrent sous le règne de ses successeurs, qui obtinrent néanmoins des succès contre les chrétiens. Yousouf Ier, surnommé Abou-l-Hadjadj, fut un des rois de Grenade qui laissèrent les meilleurs souvenirs : il s’attacha principalement à augmenter la splendeur de l’Alhambra, dont il construisit l’entrée principale, et qui absorba tous ses trésors.

Jamais Grenade ne fut plus prospère que sous Abou-l-Hadjadj ; à aucune époque elle ne fut plus peuplée : un historien espagnol assure que sous son règne la population occupait soixante-dix mille maisons et formait un total de quatre cent vingt mille âmes, plus de sept fois la population d’aujourd’hui. Ce roi, à qui Grenade devait tant, était cependant destiné à mourir sous les coups d’un assassin.

Mohammed V, Al-ghani-billah (celui qui se plaît en Dieu), hérita de ses talents et de son goût pour les arts, et sut vivre en paix avec les chrétiens ; on lit encore des vers à sa louange dans plusieurs des salles de l’Alhambra, car il se plut à embellir ce palais comme ses prédécesseurs.

Les rois qui lui succédèrent furent plus belliqueux que lui, mais ne furent pas toujours heureux dans leurs guerres : ainsi Yousouf III perdit en 1416 l’importante ville d’Antequera, assez rapprochée de la capitale. Son fils, Abou Abdallah-el-aysar, le gaucher, el izquierdo, comme le nomment les auteurs espagnols, fut détrôné en 1428, à la suite de guerres civiles ; mais c’est sous le règne de Mohammed VIII, son cousin et son successeur, surnommé Az-zaghir (le jeune), que les discordes civiles troublèrent plus violemment que jamais le royaume de Grenade ; discordes qui devaient, moins de cinquante ans après, le livrer aux Espagnols comme une proie facile. C’est encore sous le règne de Mohammed Az-zagnir que s’élevèrent entre les Zégris et les Abencerrages ces terribles querelles qui ensanglantèrent la ville et l’Alhambra, et qui ont servi de thème à tant de romances moresques et espagnols, sans compter les romans modernes.

Sous Mahommed X, le malheureux royaume de Grenade était déjà au commencement de son agonie : Henri IV, roi de Castille, envahit et ravagea plusieurs fois la fertile Vega ; il fit plus : il vint camper avec son armée en vue de la capitale, affront que Grenade subissait pour la première fois. En 1460, les chrétiens s’emparaient de Gibraltar et d’Archidona, et trois ans plus tard, le roi de Grenade se voyait forcé de signer un traité de paix par lequel il s’obligeait à tenir son royaume comme fief de la couronne de Castille, et à payer chaque année au vainqueur un tribut de douze mille ducats d’or. En 1469, le mariage de Ferdinand d’Aragon et d’Isabelle de Castille, en réunissant les deux couronnes, vint augmenter encore la force des ennemis de Grenade, qui n’avait plus que peu d’années à vivre sous ses anciens rois. La ville d’Alhama, un des boulevards du royaume moresque, était enlevée en 1482, et, l’année suivante, les généraux des rois catholiques s’emparaient de plusieurs forteresses également importantes. Pendant ce temps-là, Grenade était toujours déchirée par des discussions intérieures, causées par la rivalité de deux sultanes, Ayesha et Zoraya, rivalité qui avait divisé la ville en deux partis ennemis ; cette dernière était chrétienne d’origine, et les historiens arabes sont d’accord pour la considérer comme la cause première de la perte de Grenade.

Les Zégris avaient embrassé le parti d’Ayesha, et les Abencerrages celui de Zoraya. Au mois de juin 1482, les deux fils d’Ayesha étaient forcés de s’échapper de Grenade, et se réfugiaient à Guadix : l’aîné, Mohammed Abou Abdallah était proclamé roi par les soldats et par les habitants ; bientôt après, il reprenait le chemin de la capitale, et s’en emparait après avoir détrôné son père, qui se réfugia à Malaga.

Abou Abdallah devait être un des derniers rois de Grenade ; c’est lui que les écrivains espagnols désignent sous le nom de Boabdil, corruption de Bo-Abdila, suivant la manière espagnole de prononcer le nom arabe ; ils l’ont aussi appelé el rey chico, le jeune roi, traduisant ainsi le surnom de Az-zaghir, qu’on lui avait donné, comme à un de ses prédécesseurs. À peine monté sur le trône, il résolut, poussé par les Zégris, de tirer vengeance des Abencerrages, qui l’avaient forcé à s’exiler à Guadix, et il les attira traîtreusement dans un piége ; c’est alors que se passa dans l’enceinte de l’Alhambra, la scène si connue qui ensanglanta le vieux palais des rois mores.

Quand nous visiterons l’intérieur du palais moresque, nous aurons l’occasion de revenir avec plus de détails sur ce dramatique événement, dont l’authenticité a été contestée à tort par plusieurs écrivains.

Cette trahison ne porta pas bonheur à Abou Abdallah abandonné de la plus grande partie de ses sujets, poursuivi par les vengeances qu’il avait provoquées, il en arriva à ne plus se croire en sûreté qu’à l’abri des épaisses murailles de l’Alhambra ; étant sorti un jour de Grenade pour diriger une expédition contre les chrétiens, il fut vaincu et fait prisonnier par le comte de Cabra.

Aboul-Hasan, qui avait été précédemment détrôné, Lui succéda, mais il était âgé, aveugle et infirme, et il ne tarda pas à abdiquer en faveur de son frère, surnommé Az-zaghal, nom emprunté à l’un des dialectes africains parlés à Grenade, et signifiant un homme gai et vaillant.

Ferdinand, en prenant parti pour son rival Boabdil, ralluma la guerre civile dans le royaume de Grenade, et trouva un prétexte pour l’envahir de nouveaux : Ronda, Marbella, Velez Malaga, tombèrent successivement entre ses mains ; bientôt il parvint, à force d’intrtgues, à rétablir à Grenade le roi détrôné. Peu de temps après il s’emparait de Malaga, la seconde ville du royaume moresque ; il prit enfin toutes les places qui appar-