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énormes grues de Mandchourie, perchées sur une patte, contemplaient mélancoliquement ce spectacle.

« On eût dit la basse-cour du bon Dieu ! La confiance de ces animaux prouvait que jamais aucun d’eux n’avait été tourmenté ni chassé par l’homme. »

« La présence de toutes ces belles créatures dans cette solitude et à cette latitude, ne peut guère s’expliquer que par le voisinage des grands parcs de chasse créés entre la Mongolie et la Mandchourie par l’empereur Kang-hi, et abandonnés par ses successeurs actuels.

« Un de ces parcs, au dire de l’abbé Huc qui le traversa en 1844, mesure plus de cent lieues du sud au nord sur plus de quatre-vingts de l’est à l’ouest. À partir des environs de Géhol, le Versailles de la dynastie mandchoue, cette immense forêt couvre les deux versants de l’arête du sol qui limite le Gobi du côté de l’Orient. L’empereur Kang-hi, qui avait déterminé les limites de ce vaste terrain de chasses, y venait passer chaque année plusieurs semaines au commencement de l’automne, escorté d’une suite de chasseurs et de rabatteurs fort semblable à une armée. Tous ses descendants y sont venus à son exemple jusqu’au jour ou Kia-King, l’un d’eux, ayant été frappé de la foudre en poursuivant le gibier près de Géhol, les successeurs de celui-ci s’imaginèrent qu’une fatalité de mort était attachée pour eux aux exercices de la chasse. Depuis lors la forêt et ses hôtes, les innombrables troupeaux de cerfs, de chevreuils, les myriades de volatiles de prix ou d’oiseaux rares, amenés ou entretenus à grands frais dans cette immense réserve, ont été livrés à l’abandon, à la dent des fauves, aux déprédations des maraudeurs. La peine d’exil perpétuel a bien été maintenue, il est vrai, contre tout braconnier qui serait surpris dans cette forêt ; cette menace n’empêche pas ces profondes solitudes de se peupler de délinquants de toute espèce. On y trouve bien encore, de distance en distance, des postes de gardiens ; « mais ceux-ci, dit le caustique abbé, semblent n’être là que pour avoir le monopole de la vente du bois et du gibier. Ils favorisent le vol de tout leur pouvoir, à condition qu’on leur en laissera la plus grosse part. Les braconniers sont surtout innombrables depuis la quatrième lune jusqu’à la septième. À cette époque, le bois des cerfs pousse de nouveaux rameaux qui contiennent une espèce de sang à moitié coagulé. C’est ce qu’on appelle Lou-joung dans le pays. Ces nouvelles pousses de bois de cerf jouent un grand rôle dans la médecine chinoise, et sont à cause de cela d’une cherté exorbitante. Un Lou-joung se vend jusqu’à cent cinquante onces d’argent. »

« Si les cerfs et les chevreuils abondent dans cet immense parc, les tigres, les sangliers, les ours, les panthères et les loups n’y sont guère moins nombreux. Malheur aux bûcherons et aux chasseurs qui s’aventurent seuls ou en petit nombre dans les labyrinthes de la forêt ; ils disparaissent sans que jamais on en puisse découvrir les moindres vestiges. »

Boulau, 30 mai au soir. — « C’est un spectacle singulièrement grandiose dans sa monotonie que l’aspect du désert. La steppe sans bornes, se déroulant à l’infini, va se confondre à l’horizon avec le ciel ; nous, notre escorte et nos voitures nous avons l’air d’un point, d’une tache au milieu de l’immensité.

« Avant-hier, à Bombatou, quand nous sommes entrés dans le Gobi, les verdoyants pâturages de la terre des herbes ont fait place peu à peu à un sol sablonneux parsemé de rares touffes de chiendent ; la steppe était comme boursouflée sous une foule de petits tertres coniques formés par l’agglomération des vieilles racines de saxifrages. Là, habitent de compagnie une sorte de rats à poils gris qui y pratiquent leurs tanières et de nombreuses tarentules ; celles-ci, qui couvrent le sol de leurs toiles, passent pour très-venimeuses : elles sont noires, d’une taille énorme et d’un aspect véritablement hideux.

« J’ai lu plus tard que le voyageur anglais Atkinson, célèbre par ses longues pérégrinations dans les steppes des Khalkas et des Kirghiz, avait vu, à l’extrémité nord-ouest du Gobi, des espaces énormes du désert encombrés de ces vilains animaux.

« Nos voitures nous font éprouver des secousses insupportables en franchissant au galop cette ceinture de taupinières ; mais, si nous avons souffert d’abord, que dirons-nous maintenant qu’elles ont fait place à de longs bancs de grès qui se succèdent avec une monotonie désespérante aussi loin que la vue peut s’étendre ! la steppe, rayée alternativement de bandes de tuf jaune et d’assises de grès noir, présente un coup d’œil extraordinaire ; on dirait que la terre a été recouverte d’une immense peau de tigre. Notre course à toute vitesse sur cet escalier naturel nous rappelle bien vite à la réalité : les roues massives sautent de marche en marche et ébranlent nos pauvres corps qui en subissent chaque contre-coup ; c’est là un supplice sans nom que Dante a oublié dans son Enfer.

« Ce matin nous sommes rentrés dans les sables ; le grès a disparu et nous rencontrons de grosses roches de granit sombre en blocs quelquefois groupés, mais le plus souvent isolés, et ne se rattachant à aucun mouvement de terrain ; on dirait des aérolithes tombés du ciel

    noire étroite, mais qui se dilate vers l’oreille et entoure la partie blanche de la tête. Sur le front, le blanc est également bordé par un autre bandeau noir : un collier, plus large sur le devant et les côtés du cou qu’à la nuque, couvre cette partie ; tout le manteau, le dos et le croupion sont couverts de plumes qui, par leur coloration tranchée, font l’effet d’écailles ; leur teinte est d’un jaune d’or très-vif, et toutes sont bordées de noir pur en forme de croissant : les plumes de la poitrine et des flancs sont peintes de bandes noires en losange, sur un fond blanc éclatant ; elles ont vers l’extrémité un croissant d’un noir pur entouré par une large bande mordorée, et les plus longues des dernières ont leur extrémité colorée de jaune d’or ; le milieu du ventre, les cuisses et l’abdomen sont d’un noir velouté ; les couvertures inférieures de la queue sont noires, tachetées de jaune d’or ; les pennes de la queue sont larges d’environ cinq centimètres ; elles se terminent en pointe et sont opposées obliquement l’une à l’autre ; la baguette est fortement cannelée dans toute sa longueur ; la couleur des barbes de ces pennes est d’un blanc grisâtre se nuançant par demi teinte en roux doré, surtout sur les bords des barbules ; un grand nombre de bandes noires et brunes formant un triangle complètent la livrée de ce magnifique oiseau ; les pieds et les éperons sont d’un gris clair ; le bec est blanc. (Docteur Chenu, les Trois règnes.)