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deur ; près de Kouï-Souton, nous avons vu des canards mandarins magnifiques ; évidemment on ne les chasse pas, car nous les avons approchés à quinze pas dans la calèche avec tout le bruit de nos douze charrettes se suivant à fond de train, les claquements de fouets et les cris de nos sauvages postillons. Les mâles, qui ont le plumage du corps doré, les ailes couleur émeraude et blanches, et le ventre bleu d’azur, se promenaient fièrement en maîtres sur les flaques d’eau de ces immenses plaines, accompagnés de la troupe plus humble des femelles et des jeunes : ils n’ont pas même daigné s’envoler.

Canards mandarins. — Dessin de Riou d’après une peinture chinoise.

« Il faut convenir que les Mongols ont un singulier système pour traîner les voitures. Le cheval d’un de nos conducteurs s’étant abattu ce matin, nous avons fait une chute, mais sans nous faire de mal. Cependant il faut être sur ses gardes ; car, si l’une de nous avait sommeillé au moment de l’accident, elle aurait couru risque d’être jetée à bas. Mon mari appelle cette manière de s’arrêter brusquement, quand les brancards portent à terre : mouiller ; l’expression est juste ; on éprouve la même impression que quand on mouille la maîtresse ancre d’un navire ; seulement la secousse est bien plus violente.

« Il paraît que Ddjack-Soutaï où nous nous sommes arrêtés trois heures pour déjeuner est une station fashionable : il y avait réunion de curieux des deux sexes en grande toilette ; les femmes sont laides, sales, hâlées ; elles portent presque le même costume que les hommes ; c’est à leur coiffure qu’on peut les distinguer à première vue : elle se compose d’une foule de petites tresses entremêlées avec des perles et du corail, et est assez pittoresque quoique très-rarement renouvelée,

« À Mangaï je monte à cheval ; c’est la seule manière de me reposer de la voiture, et il a fallu suivre le convoi au galop pendant vingt et une verstes[1], accompagnée de M. Bouvier et du mandarin mongol à bouton blanc qui est venu galamment se ranger près de moi.

« Ce soir nous avons bien dîné, mais nos lits de voyage sont complétement démantibulés par les affreux cahots des charrettes, et il va falloir coucher comme les Mongols par terre sur les tapis de feutre, enroulés dans nos couvertures : après tout, il y a bien des gens qui ne dormiront pas si bien que moi cette nuit ; car je suis brisée de fatigue.

« Bombatou, 27 mai, huit heures du soir. — Ce matin, il faisait un froid excessif, à peine six degrés au-dessus de zéro et un vent à tout enlever ! Nos peaux de mouton nous sont bien utiles, et mon manteau de mandarin que j’avais acheté à Kalgan m’a paru bon marché à vingt-cinq piastres ; ce qui prouve encore une fois que

  1. La verste russe, mesure de longueur, équivaut à peu près à notre kilomètre.