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seulement, et quand il avait voulu nous rejoindre, il lui avait été impossible de s’orienter, et il avait pris une direction tout opposée à la nôtre.

« Je n’oublierai pas la station de Bourgaltaï ; quelle confusion inexprimable ! La caravane chargée du transport de nos gros bagages et partie de Kalgan quelques heures avant nous, arrivait à la couchée, en même temps que nos charrettes et notre cavalcade.

« Dans cette nuit noire, rendue plus noire encore par l’éclat des torches qu’on portait çà et là, les chameaux poussaient des cris et des gémissements lugubres, afin que leurs conducteurs les délivrassent de leurs charges, les chevaux effrayés se cabraient et refusaient de se laisser dételer ni entraver ; c’était un concert d’imprécations et de jurements dans toutes les langues.

« Nos gens n’ont pas encore l’habitude des emballages et des déballages ; il a fallu bien longtemps au milieu de cette confusion pour retrouver nos nécessaires de voyage, quelques provisions froides et nos lits de camp.

« Hier, 24 mai, c’était la fête de la reine Victoria, et comme le maître d’hôtel a pu mettre la main sur deux bouteilles de vin de Champagne, nous avons bu à la santé de Sa Majesté avec le ministre d’Angleterre et son secrétaire, M. Wade ; ensuite nous avons fait un whist (car on avait trouvé des cartes). C’est sûrement la première fois qu’on y joue dans les déserts de la Mongolie !

« Bourgaltaï est un hameau composé de quelques baraques en bois et d’une petite pagode : ce sont les dernières habitations fixes qu’on trouve à l’entrée du désert, et ce sera la dernière fois que nous coucherons sous un toit ! Nous allons commencer, à dater de ce soir, à camper comme les nomades.

Dame chinoise jouant du théorbe. — D’après un dessin chinois.
Marchand calculant sur son swan-pan. — D’après un dessin chinois.

« J’aime mille fois mieux coucher sous la tente que de passer la nuit sous un abri aussi sale et aussi puant que l’auberge de Bourgaltaï, quoiqu’on l’ait fait évacuer à l’avance pour nous recevoir.

« La cour est une enceinte carrée fermée par des barrières de bois et des broussailles, au milieu est la baraque bâtie en planches et en torchis, haute de trois mètres tout au plus. Elle se compose, outre une petite chambre où couche l’aubergiste, d’une seule immense pièce non plafonnée, car aux angles on se heurte la tête contre les solives de la toiture. Cette salle, qui sert à la fois de cuisine, de réfectoire et de dortoir, ne possède d’autres meubles qu’un kang long et large, où peuvent coucher à l’aise vingt voyageurs.

« Voilà sous quel abri nous avons dû souper, et passer la nuit sur nos lits de camp, tourmentés par tous les insectes de la création.

« 25 mai (sept heures et demie du matin). — MM. Bruce et Wade viennent de nous quitter avec tous leurs gens pour retourner à Pékin.

« Cette séparation nous a attristés. Maintenant commence vraiment notre voyage, un des plus grands et des plus longs qu’on puisse accomplir par terre sur notre globe. De Pékin jusqu’ici, c’est une promenade de plaisir que nous avons faite. »

Avant de suivre les voyageurs dans les déserts de Mongolie, il est nécessaire d’exposer quelles étaient les personnes de leur suite, et comment était organisé ce long trajet au milieu d’un pays ou ou ne peut attendre aucune ressource des habitants et où on ne trouve souvent pas même d’eau potable.