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lèvent sous l’abri mystérieux des grands cèdres : nous y voyons une rangée de dieux grimaçants en bois doré et peint, et au fond, dans le sanctuaire, la Trinité chinoise avec ses six têtes et ses six bras ; tous ces temples sont peuplés de ces monstrueuses idoles, inventions bizarres du paganisme chinois.

« L’ensemble de cette cour est funèbre ; nous y éprouvons tous la sainte horreur du lieu ; j’y frissonne malgré moi, car il y règne une humidité pénétrante comme dans une cave ou dans un tombeau.

« C’est avec plaisir que je monte un nouvel escalier semblable au précédent, qui nous conduit à une plate-forme ronde, toute en marbre blanc, et entourée de balustrades également en marbre et sculptées à jour.

« Au milieu s'élève le grand mausolée que nous avons aperçu du fond de la vallée.

« Nous en faisons le tour, et, du côté opposé, nous trouvons un mur à pic adossé à la montagne qui est couverte d’une végétation inextricable.

« De ce côté aussi est une grande porte en bronze, magnifiquement sculptée, qui nous conduit dans l’intérieur du monument entièrement construit en marbre.

« Nous passons d’abord sur une voûte où sont des caveaux que nous supposons renfermer les ossements des empereurs Mings, mais qui sont hermétiquement fermés, puis nous montons un escalier tournant d’un très-beau style, avec des rampes sculptés.

« Cet escalier, construit à la manière de ceux des temples de Pékin, est divisé en deux parties par un marbre en pente douce, réglé d’après l’inclinaison des marches, et sur lequel sont gravés des dragons et des animaux chimériques.

Maître d’école de Cha-ho (p. 300). — Dessin de Vaumort d’après l’album de Mme de Bourboulon.

« Il nous conduit sur une nouvelle plate-forme, qui est la répétition de celle de la base du monument, mais qui est moins vaste, et où nous sommes à peu près à vingt mètres au-dessus du sol.

« De là on à une vue magique : devant nous, toute la vallée que nous venons de parcourir ; de chaque côté, tout un monde de mausolées, de pagodes, de temples, de kiosques que nous n’avions pu voir, cachés qu’ils sont par les grands arbres. L’enceinte sacrée s’étend à perte de vue sur les flancs de la montagne ; il faudrait plusieurs jours pour visiter cet ensemble grandiose de monuments, et le temps nous presse.

« Au-dessus de la plate forme où nous sommes, le mausolée se continue en coupole immense, se terminant en pyramide pointue, couverte d’écailles comme un serpent, et de bas-reliefs mythologiques.

« Autour de nous, chaque morceau de marbre est sculpté. C’est une profusion inouïe de détails, de dessins en ronde bosse et en creux ; plus notre œil s’élève, plus l’ensemble du monument est orné.

« Que de bras, que de temps et d’imagination il a fallu pour accomplir sinon ce chef-d’œuvre, au moins ce tour de force de l’art chinois !

« Enfin la pyramide est couronnée par une boule dorée de grande dimension, qui reflète comme un foyer de lumière les rayons du soleil dont le disque descend à l’horizon entre deux nuages sombres.

Il est temps de partir, si nous voulons arriver à Nan-kao avant la nuit, d’autant plus qu’il nous faut retourner sur nos pas presque jusqu’à Tchang-ping-tcheou[1] »

A. Poussielgue.

(La suite à la prochaine livraison.)



  1. Ces sépultures des Mings sont plus vastes encore que Mme de Bourboulon ne se l’était imaginé. Dans une nouvelle visite faite tout récemment, M. Bruce, ministre d’Angleterre en Chine, a compté quatorze monuments funéraires dans le style indou, semblables à celui dont Mme de Bourboulon vient de donner la description. Le mausolée est celui de l’empereur Hioung-lo ; c’est le plus beau et le plus célèbre. Les treize autres sont disséminés dans la montagne.