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mandarins d’escorte avaient soin de faire évacuer à l’avance les bâtiments de l’arrière-cour complétement réservés aux voyageurs européens, qui y trouvaient dressés leurs lits de voyage et un souper à demi civilisé.

Quant à leur suite, Chinois de tous grades, ils s’accommodaient des places libres sur les kangs, ou bien encore s’étendaient roulés dans leurs couvertures sur les nattes qui garnissent les dortoirs.

Ces auberges, dont l’entrée est indiquée la nuit par de monstrueuses lanternes de couleur, ont des pancartes faisant réclame en lettres de deux pieds de haut.

On y lit des inscriptions de ce genre :

Hôtel des bons rapports sociaux, loge les hôtes passagers, se charge de toutes affaires et en garantit le succès.

Ou bien encore : Hôtel de la vertu récompensée, Weichau vend bon marché et achète cher.

On peut juger par ces inscriptions fidèlement traduites de la naïveté des réclames chinoises.

C’est un spectacle bien curieux pour un Européen que l’agitation et le bruit étourdissant qui se font dans ces hôtelleries à la tombée de la nuit, surtout dans les grandes villes commerçantes de la frontière de Mongolie : les voyageurs vont çà et là en demandant des renseignements, les porteurs de bagages se disputent, le maître de la maison vocifère, les domestiques répètent ses ordres, les garçons du restaurant chantent à tue-tête les notes des consommateurs, les mendiants nasillent leurs misères, les charretiers, les chameliers jurent après leurs animaux qui répondent chacun dans leur langage, tandis que tous les chiens du voisinage aboient en se disputant les os et les débris des cuisines.


DE TCHANG-PING-TCHEOU À SUAN-HOA-FOU.

Visite à la sépulture des Mings. — Monolithes à l’entrée. — Magnifique panorama. — Avenue bordée de statues d’animaux gigantesques. — Arcs de triomphe. — Déjeuner sur les pierres sépulcrales. — Enceinte des monuments funéraires. — Grand mausolée en marbre. — Merveilleuses sculptures.

La nuit s’écoula sans événement notable à Tchang-ping-tcheou, et le lendemain matin à sept heures et demie, les voyageurs montèrent à cheval pour aller visiter la sépulture des empereurs de la dynastie des Mings (Ta-ming-feuti) située à onze kilomètres au nord-est.

Nous ne pouvions passer aussi près de cette agglomération de monuments qu’on nous avait vantés à Pékin comme un des plus beaux spécimens de l’art chinois au dix-septième siècle, sans nous détourner pour aller les voir. Nous serons les premiers Européens qui aient foulé de leurs pieds profanes la sépulture des princes de cette grande dynastie chinoise.

« Nous sommes partis ce matin par un temps superbe sous la conduite d’un mandarin de Tchang-ping-tcheou.

« Au sortir de la ville, dans la direction du nord-est, le pays commence à devenir plus accidenté ; l’œil est flatté de l’aspect des collines couvertes d’arbres verts, pins et mélèzes entremêlés de rochers de granit ; le bord de la route est planté de ricins qui agitent au vent leurs larges panaches verts.

« Bientôt après nous descendons dans un chemin creux où l’on ne voit rien que deux hautes murailles de terre jaune et de pierres.

« La route se continue ainsi pendant quelque temps jusqu’à un carrefour auquel on arrive par un pont délabré jeté sur un torrent rocailleux.

« Sur une hauteur devant nous, nous apercevons une réunion de monolithes gigantesques en pierre de taille et d’une architecture bizarre.

« Six pierres brutes d’un seul morceau en forment les colonnes : elles sont supportées par des piédestaux carrés couverts de sculptures mythologiques, et décorés de figures de lions de grandeur naturelle.

« Ces six colonnes sont couronnées de douze pierres de la même dimension posées d’aplomb et cimentées, ou supportées par des socles en pierre, de manière à former cinq ouvertures carrées dont les plus basses sont celles des deux extrémités et la plus haute celle du milieu.

« Au-dessus de chaque ouverture sont cinq toits à la chinoise recouverts de tuiles vernissées et dorées, et au-dessus de chaque colonne, pour masquer le vide, six autres petits toits en miniature construits sur le même modèle.

« Ce monument a peu d’épaisseur ; les pierres en sont immenses, mais plates ; cela fait l’impression d’un décor en bois comme ceux de nos fêtes publiques.

« C’est l’entrée de la sépulture des Mings, et le point de départ d’une large chaussée pierrée qui s’étend à perte de vue au milieu d’une plaine nue et aride.

« Cependant dès que nous avons gravi l’escarpement, nous voyons se dessiner, noyé dans une brume lointaine, un grand amphithéâtre de collines boisées.

« Les Chinois sont de grands maîtres en décors : ils ont établi ces simples monolithes pour attirer l’attention, et non pour faire deviner les magnificences qui attendent le visiteur ; ils ont su graduer la surprise dans tout cet ensemble extraordinaire de constructions.

« La colline s’abaisse à dater du monument que nous venons de voir, et la chaussée s’élève graduellement au-dessus des plaines environnantes.

« Nous parcourons ainsi un espace de cinq ou six cents pas, et peu à peu l’horizon s’élargit devant nous ; enfin nous franchissons une brusque dépression de terrain, et un cri d’admiration s’échappe de toutes les bouches.

« Sur notre côté, en contre-bas, la vallée parait couverte de monolithes funéraires de toutes formes et de toutes dimensions ; devant nous se dresse un arc de triomphe en marbre blanc percé de trois portes monumentales, celle du milieu laissant entrevoir une véritable armée de monstres gigantesques rangés sur les bords de la chaussée dont ils paraissent défendre l’entrée ; plus loin, au bout de cette chaussée qui s’élève à une grande hauteur au-dessus du sol, apparaissent d’autres arcs de triomphe ; puis sur une colline qui paraît à pic de la distance où nous sommes, au milieu d’un magique amphithéâtre de forêts de pins séculaires, une réunion grandiose de temples, de kiosques, de pagodes s’étendent à perte de vue ; enfin ce magnifique panorama est couronné