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à rendre un service positif aux sciences et même aux intérêts français, en pénétrant dans ces régions presque inconnues que suivent les marchands russes et en soulevant ainsi un coin du voile mystérieux qui les enveloppait encore.

Cinq fois déjà M. et Mme de Bourboulon avaient fait par mer la traversée de Chine en France ; ils ne se sentaient guère attirés par la perspective de ce long et monotone voyage, où l’on n’aperçoit que le ciel et l’eau et où l’on est exposé pendant trois mois aux chaleurs torrides et énervantes des mers équatoriales. D’autre part, toutefois, le trajet par terre présentait des difficultés, des fatigues et même des dangers qu’il était facile de prévoir : il ne s’agissait de rien moins que de parcourir huit mille kilomètres au milieu de peuplades presque sauvages, dans des steppes et des déserts sans routes frayées, de franchir des montagnes escarpées, de traverser à gué de larges rivières, enfin de se réduire pour la vie matérielle à coucher sous la tente et à manger du laitage et du biscuit de mer détrempé.

Il y avait bien là de quoi donner à réfléchir à une femme habituée à vivre au milieu de tout le confortable et de tout le luxe de la civilisation européenne.

D’après les renseignements qu’on recueillit, la partie difficile du voyage ne s’étendait pas à moins de deux mille kilomètres qu’il fallait franchir pour arriver à la frontière de Sibérie : une fois là, le service des postes, admirablement organisé jusque dans les parties les plus lointaines de l’empire russe, fournirait des moyens de transport rapides, sinon commodes.

C’était la Mongolie qu’il fallait traverser, pays immense, habité par des peuples nomades et pasteurs, tributaires du gouvernement chinois, auquel ils doivent gratuitement leurs services pour les transports de voyageurs et de marchandises.

Le tueur de rats, à Pékin. — Dessin de Émile Bayard d’après une gravure chinoise.

M. de Baluseck, ministre de Russie à Pékin, et Mme de Baluseck étaient venus par cette voie dans la capitale de la Chine : or, Mme de Bourhoulon ne doutait point qu’elle ne fût capable d’autant de courage que Mme de Baluseck : le retour par terre fut donc décidé.

Alors il fallut s’occuper des nombreux préparatifs qu’exigeait ce long voyage.

Le prince Kong, régent de l’empire chinois, fut prévenu des intentions du ministre de France et promit que des mandarins chinois et mongols de rang supérieur escorteraient les voyageurs jusqu’aux limites de l’empire, et que, tout en assurant leur sécurité, ils feraient préparer à l’avance des chevaux, des relais, et même des tentes et des campements.

On fit partir pour la France par la voie de mer tous les gros bagages inutiles ou embarrassants. Quinze jours aussi avant le départ définitif, une caravane de dix chameaux fut envoyée à Kiachta, aux confins de l’empire russe, avec du vin, du riz et autres provisions de bouche de toute espèce, afin de pouvoir remplacer les vivres épuisés durant la traversée de la Mongolie.

M. Bouvier, capitaine du génie, se chargea de diriger les charrons chinois qui devaient construire une dizaine de petites voitures de transport, assez légères pour être traînées par les cavaliers nomades, et assez solides pour passer partout dans le désert.

Ces voitures dans lesquelles prirent place un sous-officier du génie et deux soldats qui retournaient en Europe avec le capitaine Bouvier, ainsi que les domestiques de la légation, qui devaient accompagner le ministre de France, furent expédiées trois jours avant le départ définitif pour Kalgan, ville frontière de la Mongolie.

Une petite caravane de chameaux portant à dos les bagages et les caisses de provisions, précéda aussi à Kalgan, l’arrivée des voyageurs qu’elle devait suivre, et