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construit en belvédère sur le sommet du col du Maga-Meudong. Devant nous se déroulait le majestueux pays que nous nous proposions de parcourir, et l’horizon était borné par de bizarres montagnes, les unes coupées à pic sur un de leurs côtés, les autres ayant la forme d’un pain de sucre. À notre droite, les premières croupes du Pangrangoh, couvertes d’arbres magnifiques.

Nous fîmes sous le pondok un léger repas, dont nous allâmes chercher le dessert à quelques mètres de là, où l’aimable et prévoyant savant, M. le docteur Ploëm a acclimaté à l’intention des voyageurs de magnifiques fraises d’Europe. Nous étions en train de nous en régaler, quand nous entendîmes dans la forêt voisine un bruit semblable à un vent violent qui aurait cassé en les agitant les branches des arbres.

« Des singes ! s’écria M. Abels. Ne bougeons pas ! »

Quelques minutes après, nous voyons en effet arriver dans les arbres les plus rapprochés de nous, d’abord un, puis deux, puis quelques instants après douze ou quinze grands singes gris à tête noire (Ouaou-ouaou.Simia-leucisa.) Les uns couraient sur les branches debout sur leurs pieds et s’aidant des mains ; les autres s’y pendaient par les bras. Tous arrivaient ainsi jusqu’aux extrémités flexibles auxquelles ils se balançaient un instant pour s’élancer sur les arbres voisins. Tout à coup ils nous aperçoivent, et la troupe entière fait halte, en se cachant dans l’épaisse verdure qui l’entoure.

Nous restons immobiles comme des termes, et bientôt la confiance renaît chez la troupe vagabonde, la curiosité l’emporte ; des têtes velues passent au travers des feuillages : évidemment nous sommes pour ces messieurs un sujet de great attraction. Le plus courageux s’avance, se pend à une branche et nous examine avec une attention scrupuleuse. Au moindre geste de notre part, toute la bande aurait décampé. Mais nous ne nous trahissons pas et nous assistons aux ébats de ces vandales qui se mettent à briser et à dépouiller ces beaux arbres, leurs asiles et les sources de leur existence. Ce sont alors des évolutions incroyables. L’un des singes s’attelle à la queue d’un de ses camarades qui grimpe le long d’un tronc et se laisse bravement remorquer ainsi jusqu’aux branches les plus élevées ; un autre, accroupi dans un endroit que la conformation de l’arbre rend un passage très-fréquenté, ne manque pas de donner une poussée, d’arracher du poil ou de tirer les oreilles à ceux qui s’avancent à portée de ses longs bras. Puis ce sont des luttes corps à corps qui s’engagent à quinze ou vingt mètres du sol et se terminent par la chute de l’un et quelquefois des deux champions, qui se rattrapent toujours fort adroitement aux branches. Souvent nous recevons sur nous les morceaux de bois qu’ils cassent dans leurs évolutions ; mais je dois dire que je ne les ai pas vus en jeter volontairement et avec force, comme j’avais entendu dire qu’ils le faisaient.

Nous nous levâmes enfin, et nos singes, pris tout à coup d’une terreur épouvantable, s’enfuirent et disparurent comme un tourbillon.

Nous voulions voir le joli lac qui couronne le Maga-Meudong et atteindre, s’il était possible, Sundang-Lahia avant la grande chaleur. Quelques minutes après avoir rejoint la grand’route que nous devions traverser pour nous rendre au lac, nous rencontrâmes un convoi d’indigènes se rendant dans l’intérieur. Deux femmes étaient portées dans un tandock, sorte de palanquin en forme d’aumônière fait de tranches de bambou et de cordes de roting, et porté au trot par deux vigoureux coolies ; derrière le palanquin venaient les coolies de rechange, ceux qui portaient les vivres, les effets des voyageurs et le mari des deux femmes ; car, à Java, la polygamie existe, comme dans presque tous les pays mahométans. La caravane passa rapidement près de nous, et porteurs et portés nous saluèrent poliment.

Nous nous engageâmes dans un beau sentier sinueux, au milieu d’arbres magnifiques sur lesquels je vis, dans leur plus grand développement, les orchidées arborescentes, ces merveilleuses plantes parasites qui préfèrent le bois dur des arbres tropicaux au terreau le plus gras et le plus fertile ; à presque tous les troncs, pendaient des grappes de fleurs admirables et des mouchets de feuilles dont quelques-unes atteignaient de très-grandes proportions. Un indigène descendait le sentier.

Orchidées abrorescentes. — Dessin de M. de Molins.

« Sommes-nous loin du lac ? lui demandâmes-nous.

— Non, nous répondit-il ; ces messieurs n’ont plus que quelques pas à faire. »

En effet, un instant après nous trouvions au sein de la plus admirable verdure un beau bassin de l’eau la plus claire et la plus limpide.

Je voulus me baigner : M. Abels m’apprit que ce bain me vaudrait une bonne saignée, les eaux étant habitées par d’innombrables sangsues. Je renonçai donc à mon projet, mais, hélas ! je ne devais rien perdre pour attendre.

Nous reprîmes notre chemin vers Sundang-Lahia, et en descendant la route qui suit le revers du Maga-Meudong, nous vîmes de loin les grandes forêts de Rassa-Malah dont les arbres gigantesques sont à coup sûr les plus grands végétaux de la création : mais, vus dans cet