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plus fréquentés de l’Espagne : une foule immense s’y donne rendez-vous le 3 mai de chaque année pour vénérer la fameuse cruz de Caravaca. Nous avons dit que cette croix, qu’on représente à quatre branches comme la croix de Lorraine, sert de palladium à toutes les cabanes de paysans du royaume de Valence : il en est de même dans la province de Murcie : le jour de la fête, on montre aux fidèles la croix miraculeuse, œuvre très-richement sertie en or ; l’étui qui la renferme, et qui offre lui-même la forme d’une croix, est également en or et orné de pierres d’un grand prix, telles que plusieurs rubis et trois diamants d’une grande dimension. La principale cérémonie de la fête consiste dans ce qu’on appelle el baño de la Santa reliquia : on place la croix sur un grand char richement orné et on la transporte jusqu’à une fontaine où le prêtre la plonge ; pendant ce temps, les cloches sonnent à repique, les musiques jouent, et de nombreuses processions défilent. Aussitôt que la croix est retirée de l’eau, les fidèles se baignent dans la fontaine avec l’espoir d’être guéris : elle passe pour être principalement efficace à l’égard des aveugles et des perclus. La fête se termine par des cavalcades de Mores, dans le genre de celle que nous avons vue à Alcoy, et le soir un feu d’artifice mêle ses détonations au bruit des guitares et des castagnettes.

Croquis fait à Murcie.

Comme Murcie n’est qu’à dix ou douze lieues de la mer, nous fîmes une petite excursion à Carthagène. Ce port, qu’on appelle Cartagena de Levante, pour le distinguer de la ville de l’Amérique du Sud, est bien déchue de sa splendeur passée : fondée par les Carthaginois, qui y avaient établi leur grand arsenal, la ville devint extrêmement riche, et lorsque Scipion s’en empara, les Romains y trouvèrent un butin prodigieux, « à tel point, dit un auteur latin, qu’il est impossible d’en donner une idée. » L’argent était si abondant, que les vainqueurs en firent des ancres pour leurs navires. Il y a cent ans, sous Charles III, Carthagène était très-florissante ; elle avait alors soixante mille habitants ; elle n’en a plus guère que la moitié. Les immenses bâtiments de l’arsenal, les vastes bassins, les fonderies, tout cela est aujourd’hui dans un état qui fait peine à voir : si on les compare à Toulon, ce sont de vraies ruines : dans peu de temps, Carthagène sera unie à Madrid par un chemin de fer, et il faut espérer qu’elle ne tardera pas à se relever.

Le port, situé à une distance à peu près égale de Cadix et de Barcelone, est un des plus vastes et en même temps un des plus sûrs de la Méditerranée : entouré de tous côtés de hauts rochers arides et noirâtres, il ne communique avec la mer que par une passe étroite : cette passe est assez dangereuse à cause d’une roche plate appelée la Losa, qui s’élève à fleur d’eau au milieu, et qui cause quelquefois des accidents, malgré le drapeau qui la signale aux marins ; mais une fois entrés dans la rade, les bâtiments n’ont rien à craindre des plus furieuses tempêtes, aussi a-t-on appliqué à ce port le même proverbe qu’à Mahon : Juin, Juillet et Carthagène sont les meilleurs ports de la Méditerranée. Les mines des environs étaient très-productives dans l’antiquité : on exploite aujourd’hui les scories, abandonnées par les Romains, et on en extrait encore une grande quantité de plomb.

Quant à la ville, elle est triste, maussade et monotone ; nous quittâmes sans regret notre posada où nous mourions de soif, ne pouvant boire ni le vin épais ni l’eau saumâtre qu’on nous donnait, et quelques heures après, nous étions de retour à Murcie. Ce trajet, que nous fîmes sur une assez bonne route, se franchit rapidement depuis quelques mois en chemin de fer.

Rien ne nous retenait plus à Murcie ; nous avions visité ses monuments peu nombreux : sa cathédrale, vaste et imposante, malgré son style hybride, et une construction arabe, el Almudi, mot à mot le grenier, qui a conservé son nom et sa destination. Nous avions projeté