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l’autre, le mal est le même, et ce système de roman, ce manque de renseignements vrais, entre peut-être pour plus qu’on ne le croit dans le pitoyable rôle que nous jouons au monde comme puissance colonisatrice.

Le lac de Nossi-Be, que nous allions traverser, peut avoir dix à douze kilomètres d’étendue ; sa largeur est moindre, on aperçoit distinctement les deux rives ; le vent du sud-est l’agite comme une petite mer, et la navigation en pirogue n’y est pas sans danger. Souvent le Malgache voit sombrer son léger esquif et sa cargaison de riz, heureux quand il peut à la nage regagner la terre et sauver ses membres de la dent des crocodiles. Pour nous, que la grandeur de nos embarcations mettait à l’abri de semblables dangers, nous n’échappâmes point au désagrément d’une affreuse traversée ; battus par l’orage, affreusement trempés par la pluie nous abordâmes en piteux état à l’île de Nossi-Malaza (Île des délices.)

Nous accueillîmes avec joie ce nom d’heureux augure. L’Île des délices est rapprochée de l’extrémité sud du lac à égale distance de ses deux rives ; longue d’un kilomètre, sur une largeur de quelques centaines de pas, elle est tout feuillage et verdure ; au nord s’étend une belle prairie terminée par le cimetière, au centre est groupé le village, et la partie sud-est couverte de magnifiques ombrages.

L’accueil que nous firent les habitants fut en tout semblable à celui que nous avions reçu à Ambavarano ; kabar, discours, offrandes, toute la naïve diplomatie du cœur ; mais la case était plus grande, nos hôtes mieux vêtus, les femmes plus élégantes et plus belles, et l’air d’aisance répandu partout reposait agréablement nos yeux des misérables tableaux de la veille.

Mais parlons un peu des Malgaches, de leurs mœurs, coutumes, industrie et religion.

Le Malgache de la côte est d’un caractère doux et timide, il est bon, fidèle et dévoué. La supériorité du blanc, qu’il reconnaît, s’impose à lui comme une chose naturelle, il ne s’en blesse point ; le vasa lui semble un maître devant lequel il est prêt à courber le front. Admirant tous nos actes pour le peu qu’il en connaît, stupéfié devant les phénomènes de notre industrie, son admiration naïve lui fait dire que si le vasa pouvait faire du sang, ce serait un Dieu véritable. On comprend la facilité d’une conquête chez des populations ainsi disposées à notre égard, et l’on a droit de s’étonner des pauvres résultats obtenus par plus de deux siècles d’expéditions successives.

Mais si le Malgache accepte le joug, il n’accepte point le travail. Il sera votre serviteur avec joie, parce que les devoirs faciles que cette charge impose conviennent à la douceur de sa nature ; les occupations variées de la domesticité ne le fatiguent point, et les faveurs du maître, conséquence naturelle de rapports journaliers et de soins constants, savent toucher son cœur. Grand ami du mouvement, infatigable au labeur qu’il aime, il pagayera tout un jour par le soleil et par la pluie, et cela sans fatigue apparente. Le violent exercice du tacon lui plaît par-dessus tout ; il vous portera de l’aurore à la nuit, et le soir, oublieux des fatigues du jour, le chœur de ses compagnons et la sauvage harmonie des bambous prêteront de nouvelles ardeurs à son corps de bronze.

Mais un travail régulier l’ennuie. Paresseux avec délices, la facile satisfaction de ses besoins lui rend insupportable le lien le plus léger. Vous n’en ferez pas plus un esclave qu’un travailleur assidu. Vingt fois il brisera sa chaîne, et semblable à ces femmes nerveuses bravant impunément les longues insomnies du bal et que réduit la moindre fatigue, il fuira la besogne ou succombera sous la tache.

Le Malgache a des formes élégantes, presque féminines ; sa figure est imberbe ; il porte les cheveux longs et tressés comme les femmes, et lorsqu’on le rencontre assis, drapé dans son lamba et buvant le soleil dans son farniente de lazzarone, il est difficile de distinguer son sexe. Quant à la femme, en dehors de la beauté, rare sur toute la terre, la douceur de sa physionomie en fait une créature agréable ; elle est généralement bien faite et d’un galbe heureux. On peut voir, page 211, une femme de Tamatave avec ses enfants ; toutes les Malgaches se vêtent à peu près de la même manière, et le type que nous représentons peut-être classé parmi les dames de l’endroit. Les cheveux divisés en carrés réguliers et tressés avec soin dégagent la tête en donnant à la personne un air de propreté remarquable ; ces tresses dissimulent l’effet disgracieux d’une masse crépue, et débarrassent de l’énorme touffe que produirait la chevelure abandonnée à elle-même. Le vêtement qui couvre les épaules est le canezou (le mot est malgache) ; ce vêtement serre les reins et maintient la poitrine sans la comprimer. Le jupon est remplacé par une draperie (cette draperie est en rabane) ; il est d’indienne chez les gens aisés. Le vêtement qui entoure le buste, c’est le simbou, étoffe de soie ou de coton, suivant la fortune des gens.

Des trois enfants, l’aîné porte un pantalon qui accuse le contact de la société européenne ; le second porte simplement un lamba, espèce de châle de coton avec frange de couleur ; c’est le vêtement ordinaire des hommes.

En voyage, le Malgache se dépouille de son vêtement qu’il porte en paquet, et se contente du langouti, petit morceau d’étoffe.

L’industrie des Malgaches est toute primitive ; ils tissent avec la feuille du raffia des rabanes de différentes espèces. Les plus grossières servent à la fabrication des sacs, aux emballages, etc. ; les plus fines, tissus vraiment remarquables, servent aux vêtements de femmes et feraient d’admirables chapeaux. On n’en trouve jamais qu’en petites quantités. Ils tressent avec le jonc et les feuilles de latanier des nattes dont ils tapissent leurs cases. Quelques-unes ornées de dessins d’une grande pureté de lignes, s’importent comme objets de luxe et de curiosité. Ces deux industries fournissent à l’exportation un chiffre d’affaires montant à cinquante mille francs.

En fait de culture, le Malgache ne connaît que le riz