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largeur maxima de cent soixante-quinze : sa superficie est au moins égale à celle de la France, c’est presque un continent ; sa population estimée à quatre millions d’habitants ne monterait pas suivant des appréciations nouvelles à plus de deux millions ; c’est donc presque un désert.

Disons quelques mots de son histoire.

Les Portugais découvrirent Madagascar en 1506 et l’abandonnèrent aussitôt ; les Français la visitèrent à leur tour et depuis les lettres patentes données par Louis XIII à la compagnie d’Orient, la grande île africaine a vu bien des expéditions françaises. Tous nos rois, depuis cette lointaine époque, s’efforcèrent de la coloniser ; la république poursuivit le même but ; le premier empire s’en occupa ; la Restauration et Louis-Philippe y envoyèrent des administrateurs, des marins et des soldats. Ce fut, on peut le dire, une occupation continue qui ne laisse planer aucun doute sur nos titres de propriété. Madagascar cependant ne fut jamais entièrement nôtre.

Appelée d’abord île Saint-Laurent, île Dauphine, puis France orientale, on a rendu le rom de Madagascar à cette contrée presque mystérieuse vers laquelle nos regards se tournent aujourd’hui. En parcourant les relations des premiers voyageurs, on se croirait transporté dans une terre promise ; chaque village retentit des cris joyeux de ses habitants ; on ne voit partout que fêtes, jeux et danses, on n’entend que des chants d’amour. Le Malgache était libre alors ; il jouissait dans toute la plénitude de son être, de la vie facile que le Créateur lui avait faite.

Aujourd’hui, malgré quarante années d’effroyables persécutions, il s’efforce encore de sourire ; il chante, il danse encore (tant le plaisir a d’attrait pour cette âme légère) dans les moments de répit que lui donne son maître. Son maître, c’est l’Ova… On peut en quelques lignes mettre le lecteur au courant de cette conquête.

Madagascar possède deux races d’hommes bien tranchées, le Malgache et l’Ova. Le premier, Sakalave, Betzimisarack ou Antankare, est un noir plus ou moins modifié par le contact des Cafres, des Mozambiques ou des Arabes. Grand, fort, et sauvage dans le sud et la côte sud-ouest, il a su conserver son indépendance. À la côte est, le Betzimisarack plus doux, plus élégant de formes, plus léger, plus ami du plaisir, fut des premiers à perdre sa liberté. Dans le nord, l’Antankare, robuste, épais et rappelant davantage le Mozambique, lutte encore et cherche dans les lieux inaccessibles de l’intérieur ou sur les îles du littoral un refuge contre la tyrannie des Ovas.

Quant à ce dernier, l’Ova, d’origine malaise et jeté à une époque inconnue sur la côte est de Madagascar[1], il fut refoulé dans l’intérieur de l’île par les populations primitives et finit par se grouper et s’établir sur le plateau central d’Émyrne.

Cette peuplade eut une étrange destinée ; considérée autrefois comme paria par les Malgaches, tout objet souillé par l’attouchement d’un de ses membres était déclaré impur ; la case où l’Ova avait reposé, était brûlée ; il était maudit par tous les habitants de l’île. Isolé dans son repaire, ce proscrit incendia les forêts qui pouvaient dérober un ennemi ; dévasta le magnifique plateau d’Émyrne ; fit un désert de son pays, et, pour éviter toute surprise, il planta ses villages sur les mamelons de la plaine. Plus tard, comme accord tacite d’une paix dont il avait un si grand besoin et comme tribut au Malgache qu’il reconnaissait alors pour maître, il déposait à la limite des bois, du riz, du maïs et divers objets de son industrie que ce dernier venait recueillir. Cette époque de son histoire a pesé sur le caractère de l’Ova ; il est devenu triste, défiant, souple, rampant, faux et cruel ; et lorsqu’à la fin du siècle dernier un homme de génie, Andrianampouine, vint le relever de la servitude, il n’eut plus, pour s’emparer de l’autorité, qu’à réunir des tribus éparses dont l’instinct de domination et la soif de vengeance firent des soldats.

Les Anglais devinant chez ce petit peuple un obstacle pour la France, lui envoyèrent le sergent Hastie, qui devenu conseiller de Radama Ier, disciplina son armée et guida ses conquêtes. Depuis trente ans les Ovas se sont emparés d’une partie de Madagascar ; depuis trente ans ils déciment les malheureuses populations noires, et jamais droit de conquête ne fut exercé d’une façon plus impitoyable.

Tamatave est le siége le plus important de leur gouvernement sur la côte est ; ils y exercent une autorité sans contrôle, et les braves des braves (titre qu’ils se sont donné après notre malheureuse affaire de 1845) si injurieux et impitoyables avec leurs malheureux sujets, portent moins haut la tête auprès du blanc (vasa) qu’ils rencontrent.

C’est ce qu’il nous fut donné de remarquer aussitôt après notre arrivée. En effet, une pirogue pagayée par des noirs et portant trois hommes ridiculement accoutrés, s’approchait des flancs du navire ; c’était une visite à notre adresse ; l’ambassade se composait de Ramar, chef de la police, flanqué de deux acolytes. Ce grotesque personnage portait un chapeau de général orné d’un plumet et bordé de duvet blanc, un vieil habit de pompier surmonté de deux énormes épaulettes anglaises, un pantalon de couleur sombre avec une large bande d’or. Aucun de ces divers objets d’occasion, achetés à quelque traitant de Tamatave, n’avait été taillé pour celui qui les portait ; aussi le pauvre Ramar avait-il l’air le plus malheureux du monde. Pour compléter ce costume, le chef ova tenait à la main droite un vieux sabre courbé ; de la gauche il étalait un mouchoir à carreau d’un ton sale, véritable objet de luxe pour son propriétaire. Les aides de camp ne se distinguaient que par des casquettes de capitaine de la marine anglaise et d’étran-

  1. Son origine est très-ancienne, car Edrisi, géographe arabe du onzième siècle cité par Alboufeda, fait mention de la communauté de langage et d’origine qui existait entre les habitants du Zabedg (Java) et ceux du Zendg (Madagascar). (Voy. la Géographie d’Alboufeda, traduite de l’arabe par M. Reinaud.)