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au lieu d’atténuer les hyperboles de leur congénère, renchérirent sur elles de telle sorte que nous crûmes fermement que l’Enim, le Païtiti et l’el Dorado, tant poursuivis jadis par les conquérants espagnols n’étaient autres que l’endroit où tendaient tous nos vœux. L’anachronisme évident qu’il y avait entre la recherche de ces lieux enchantés et la fondation du village chrétien, ne parvenait pas à détruire nos illusions profondément enracinées. Il est vrai qu’aucun de nous ne songeait guère en ce moment à rapprocher les deux époques et à remarquer qu’une période de cent quatre-vingt-dix ans séparait leurs dates.

Indien Sipibo.

Les trois jours de voyage qui nous restaient à faire pour atteindre le Chanaan américain, ou, nouveaux Hébreux, nous comptions trouver à foison de la manne et des cailles grasses, ces trois jours que nos rameurs eussent pu ramener à deux, s’ils n’avaient craint de fatiguer leurs bras, avaient été divisés par eux en trois étapes de sept lieues chacune. Le soir du premier jour, nous allâmes camper sur une plage du nom de Chanaya[1], où nous trouvâmes, en arrivant, deux individus, un homme et une femme. La pirogue qui les avait transportés en ce lieu était attachée par une corde de palmier à un aviron fiché dans le sable. Ces inconnus, que nous avions pris pour des Sipibos, étaient des néophytes de la Mission de Sarayacu, qui remontaient la rivière, cherchant des troncs de cécropias pour prendre aux abeilles qui y essaiment, leur provision de miel et surtout de cire. L’homme, déjà vieux et privé de l’œil droit, avait nom Timothée ; il avait été baptisé par je ne sais quel missionnaire, en compagnie duquel il avait fait plus

  1. Du nom du chaînon ouest de la sierra de Cuntamana, au pied duquel elle est située et qui est appelé Chanaya-Mana (cerro de Chanaya).