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tandis qu’une portion de l’enfant reçoit pour la seconde fois l’hospitalité dans les entrailles paternelles ; à peine est-il mort que les femmes coupent sa chevelure et la remettent à la mère qui en fait deux parts égales. Pendant ce temps, le père est allé pêcher au bord de la rivière où sa flèche, dédaigneuse de gros poissons, n’a frappé que le fretin. Après s’être baigné, puis roulé dans le sable, il rentre sous son toit et remet à la mère le produit de sa pêche, que celle-ci fait bouillir sur-le-champ. Une moitié des cheveux de l’enfant est brûlée et mêlée à cet aliment, que les parents et l’assistance dévorent avidement. L’autre moitié est brûlée aussi et absorbée avec le breuvage. Cette dernière formalité remplie, on enterre le cadavre, et, pendant trois mois, quand gronde le tonnerre, le père et la mère viennent trépigner sur la fosse en hurlant tour à tour. Quand le sol d’une hutte est tellement couvert de sépultures que la place manque pour les nouveaux décédés, on en construit une autre à quelques pas, laissant le vieux toit s’effondrer de lui même.

Pour compléter cette monographie des Indiens Conibos, autant que par respect pour la vérité sainte et par amour de la couleur locale, nous relaterons en passant le goût décidé de ces indigènes pour leur propre vermine et celle du prochain. Un Conibo mâle ou femelle, assis la tête à l’ombre et les pieds au soleil, égarant ses doigts dans la chevelure d’un de ses semblables et y trouvant pâture à son étrange faim, est plus heureux qu’un Tériaki emporté par l’opium dans le septième ciel des voluptés.

Au goût des parasites, le Conibo ajoute la passion des diptères. Un moustique gorgé de sang lui paraît bouchée si friande, qu’il ne manque jamais en sentant le suçoir de l’insecte s’enfoncer dans sa chair, de l’observer d’un air narquois. À mesure que l’abdomen flasque et diaphane du buveur s’emplit de la liqueur vermeille, le visage du Conibo s’épanouit. Au moment où le moustique tourne au sphéroïde, l’homme l’écrase et s’en repaît.

Indiens Conihos harponnant un lamentin.

La tribu Conibo, déchue du rang qu’elle occupait au dix-septième siècle parmi les peuplades de la Pampa del Sacramento, est divisée à cette heure comme nous l’avons vu, en clans de deux à trois familles qui ne relèvent que de leurs chefs naturels et vivent éparses sur les bords de l’Ucayali et de deux affluents de sa rive gauche. Les luttes sanglantes de cette tribu avec les tribus rivales ont cessé de guerre lasse, ou comme si un armistice indéfini avait été conclu entre les parties belligérantes. La haine du Conibo contre ses voisins les Cacibos (hodié Cachibos) de la rivière Pachitea, les Remos et les Amahuacas de la rive droite de l’Ucayali, a même perdu de son intensité et semble descendue au