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ans de séjour dans l’eau, l’aubier de ce faux acajou est aussi sain que le premier jour. Les missionnaires recherchent avec empressement ces grandes pirogues pour les tailler eu planches, qu’ils emploient à divers usages.

Soit effet de la paresse ou de l’imprévoyance chez ces indigènes, toute idée d’approvisionnement et de réserve économique leur paraît inconnue ou antipathique. Sans souci du lendemain, ils vivent au jour le jour et ne chassent dans leurs forêts que lorsque la faim les aiguillonne. S’ils se décident à pêcher des tortues et à profiter de l’huile et de la graisse que leur offrent ces animaux, c’est plutôt pour se procurer dans les Missions les haches et les couteaux qui leur sont nécessaires ou satisfaire leur vanité par l’achat de perles fausses et de verroteries, que pour donner la pâture à leur estomac. La dîme qu’en cette occasion ils prélèvent pour leurs besoins, est répartie de telle sorte entre leurs amis et leurs connaissances, qu’au bout de deux ou trois jours, les victuailles sont complétement épuisées. Mais cette pénurie constante de leur garde-manger n’empêche pas nos Conibos d’offrir de la meilleure grâce du monde au voyageur ou à l’ami qui les visite, la dernière banane, le dernier morceau de tortue ou le dernier gigot de singe resté au logis. Jamais, au désert, les lois de l’hospitalité ne furent plus saintement pratiquées que par ces indigènes, toujours placés entre deux appétits inassouvis.

Ceux d’entre les Conibos que des relations de commerce ont mis en contact avec les missionnaires et les Missions, ont rapporté de leurs voyages à Sarayacu, à Belen, à Tierra-Blanca, des notions de défrichement et de culture. Leurs plantations toujours cachées au milieu d’une île ou dans un coin de la forêt, et rappelant par leur exiguïté celle des Antis et des Chontaquiros, consistent comme ces dernières en quelques plants de bananiers, en une douzaine de cannes à sucre, deux ou trois cotonniers pour la fabrication des tissus, du rocou, du tabac et des arachides. Leur mode de défrichement est le même que celui usité chez les Indiens du Sud. Ils abattent un pan de la forêt, laissent sécher les arbres abattus, les brûlent ensuite et sèment ou plantent sur ces cendres fertilisantes. L’instrument dont ils se servent pour façonner la terre, est une bêche formée par l’omoplate du lamentin qu’ils emmanchent d’une longue perche.

L’aptitude de ces naturels à élever en liberté les oiseaux et les quadrupèdes nous a émerveillé plus d’une fois. Il n’est pas rare de voir de jeunes tapirs et des pécaris en bas âge, suivre les pas de leur maître avec la docilité d’un caniche et obéir à ses commandements. Les aras, les caciques, les remphastos, les couroucous, tous ces oiseaux au magnifique plumage, vont et viennent de la hutte du Conibo à leur forêt natale avec la plus touchante sécurité ; mais l’animal que ces Indiens préfèrent à tous les autres, c’est le singe, dont le naturel pétulant et la gymnastique paraissent les amuser fort ; l’affection qu’ils lui témoignent ne va pas cependant jusqu’à épargner l’animal dans leurs moments d’ivresse, et, quand la boisson fermentée a troublé le cerveau du maître, le pauvre singe périt sous le bâton avec les autres commensaux de la demeure.

Chez les Conibos le mariage n’entraîne après lui aucune cérémonie ; à peine l’époux, ou ce qu’ainsi l’on nomme, offre-t-il un léger cadeau aux parents de sa femme, qu’il peut d’ailleurs répudier à son gré. La bigamie est tolérée chez ces indigènes et la polygamie n’y serait pas considérée comme une énormité, si depuis longtemps ils ne s’étaient fait une loi de ne prendre de femmes, qu’au tant que leur paresse, proverbiale au désert, leur permet d’en nourrir.

Mère conibo et sa fille.

À l’heure de son accouchement, quand la femme abritée par sa moustiquaire est seule à lutter contre