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ou d’une poignée de roseaux qu’il agite vivement, en fait deux ou trois fois le tour. Léger de sa nature, le moustique est entraîné par le déplacement de la colonne d’air et disparaît pendant quelques secondes. L’occasion est propice et c’est surtout ici qu’il importe de la prendre aux cheveux. Jetant son éventail ou son plumeau, désormais inutiles, l’individu s’assied à côté de la moustiquaire, soulève un de ses pans à six pouces du sol, puis se laissant choir en arrière et roulant aussitôt sur lui-même, s’introduit par cet hiatus dans l’intérieur du cadre dont il laisse retomber les plis derrière lui. La durée de cette opération doit être celle de l’éclair que sillonne la nue.

Mais si prompte qu’elle ait été, elle a suffi néanmoins pour livrer passage à une douzaine de moustiques. À peine êtes-vous étendu qu’une fanfare éclate brusquement, donnant le signal de l’attaque. Gardez-vous d’y répondre ; laissez chaque assaillant choisir l’endroit où il frappera. Bientôt une douleur aiguë vous annonce l’introduction de sa trompe acérée. Le sang qu’il vous soutire afflue par tumultueuses ondées. Ne bougez pas ; armez-vous de stoïcisme ; invoquez mentalement Épictète et Zénon, les pères du genre. Pendant ce temps, vos ennemis boiront avec la volupté, l’oubli du monde extérieur. Quand vous sentirez faiblir leur attaque, signe que leur ventre s’emplit et que la vapeur du sang leur monte à la tête et trouble leur entendement, appliquez une claque sur la partie mordue et faites justice du vampire à la table même de son festin. Votre couronne d’athlète, ô vainqueur ! sera un sommeil d’autant plus profond et des rêves d’autant plus roses, qu’au dehors vous entendrez une véritable tempête mugir à six pouces de vos oreilles.

Recherche des œufs de tortue dans le sable des plages.

Ces indications charitables que nous donnons ici aux pères de famille, afin qu’ils les mettent sous les yeux de ceux de leurs fils que la lecture de Cook ou de Bougainville, pourrait décider à entreprendre, comme le pigeon de la fable, un voyage en lointain pays, ces indications étaient suivies de point en point par chacun de nous. À force de pratiquer, nous avions acquis une telle dextérité dans le maniement de la moustiquaire, qu’il nous arrivait très-souvent d’en prendre possession sans introduire à notre suite un seul ennemi. Rien de plus singulier, au reste, que ces carrés d’étoffe blanche, grise ou brune, éparpillés sur le vaste tapis des plages. Avec un peu d’imagination et l’aide d’un rayon de lune, on les eût pris de loin pour les pierres tumulaires de voyageurs morts dans une traversée du désert.

Certaine nuit que nous dormions comme des bienheureux sous nos abris de toile, un tumulte de voix sauvages retentit dans le campement. Au risque d’être mis en pièces par les moustiques, nous soulevâmes les plis de l’étoffe et jetâmes autour de nous un regard effaré. Une lune, aussi brillante que le soleil d’Europe,