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d’ajoupas, comme en construisent à la hâte les indigènes pour leurs haltes de nuit, servaient d’avant-poste à un village ou projet de mission, que les Conibos étaient en train d’édifier sur la colline, et auquel ils avaient donné le nom de Santa-Rita. C’était comme un pendant à la mission en herbe de Santa-Rosa chez les Chontaquiros.

Ce village sur lequel tombaient d’à-plomb les rayons d’un soleil de feu, offrait tant bien que mal, la disposition d’un parallélogramme. Nous y comptâmes dix habitations, dont trois grandes, et sept moyennes. Chacune de ces dernières pouvait recevoir trois familles. Toutes n’étaient pas achevées, mais le seraient bientôt, au dire de leurs constructeurs. L’habitation du centre devait servir d’église. Rien ne la distinguait de ses voisines, si ce n’est un segment formé par une rangée de pieux fichés dans le sable, et figurant tant bien que mal une abside. Une croix de bois, grossièrement équarrie à coups de hache et peinte avec du rocou, s’élevait à quelque pas de cette église. Le style de ces constructions était le même que nous avions observé dans les habitations des Chontaquiros et des Conibos. Quelques toitures étaient en roseaux ; d’autres en palmes.

Achat d’un jeune Indien Impétiniri.

Derrière l’église, le long d’une ceinture de ces roseaux géants qui, pendant longtemps nous avaient tenu fidèle compagnie, s’étendaient pareils à des pièces d’étoffe cousues bout à bout, de petits morceaux de terrain, soigneusement défrichés, sarclés même, et plantés de manioc, de coton, de pastèques, dont les premières feuilles vertes tranchaient agréablement sur la fauve couleur du sable. Ces jardinets, s’ils témoignaient des intentions agricoles des néophytes, n’étaient pas en état d’assurer leur alimentation quotidienne ; un homme de bon appétit eût pu manger à lui seul en huit jours, tous les produits de cette agriculture.

Cent vingt Conibos touchés de la grâce, s’étaient réunis en ce lieu. La plupart vaguaient en ce moment dans les forêts voisines et sur les plages, occupés de chasse et de pêche ; trente individus des deux sexes étaient restés à la mission. Ces indigènes, une fois leurs constructions achevées, se proposaient d’aller à Sarayacu, demander au Préfet Apostolique des Missions de l’Ucayali, un religieux pour les baptiser et les instruire dans la foi chrétienne. Ils promettaient d’avoir grand soin de lui, et s’engageaient à ne pas le garder au delà de trois mois, si l’air de la rivière Pachitea lui était contraire, ou que l’endroit ne fût pas de son goût. Ces détails que j’écrivis sous la dictée d’un de nos interprètes, lui furent donnés par un gros Conibo à figure joviale, barbouillée de rocou, qui le promena à travers la mission, et lui fit part des embellissements projetés par les siens, pour en rendre au futur papa[1] le séjour aussi agréable que sain.

Ce vent de civilisation qui soufflait du nord au sud,

  1. Papa ou tayta (père). C’est le nom donné par ces peuplades à tous les prêtres, moines et missionnaires.